L’univers cache 95% de 
sa réalité: explorons-le!

Rédigé par
Gil Egger
Société

Nous avons les télescopes, sur terre et dans l’espace, qui ont ouvert d’incroyables fenêtres sur les galaxies.  Nous avons les collisionneurs de particules, tel celui du CERN, explorateurs de la matière.  Toutes ces observations nous ont fait découvrir seulement 5% de l’univers. La suite? Les ondes gravitationnelles. 

Les mystères s’appellent la matière sombre, l’énergie noire. Nous n’en connaissons vraiment pas grand-chose. Et puis, les thèses d’Einstein avaient décrit les ondes gravitationnelles. Tout comme Higgs avait théorisé l’existence de «son» boson, avant que des investissements colossaux ne soient consentis pour le révéler. Ce fut grâce au LHC, le grand collisionneur de hadrons, cet anneau de 30 km sous terre utilisé par le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire). 
Des ondes discrètes 
Les ondes gravitationnelles sont des perturbations de l’espace-temps, incluses dans la théorie de la relativité générale d’Einstein en 1915. Qu’est-ce qui les produit? Des événements cosmiques que nous avons peine à imaginer, comme la fusion de trous noirs, l’explosion de supernovae ou la collision d’étoiles à neutrons. Ces monstrueuses émissions d’énergie déforment légèrement l’espace-temps. A l’image d’un objet qui tombe dans un lac, créant une vague. Sauf que les ondes gravitationnelles ont vraiment un effet minuscule à notre échelle. Lorsque l’une d’elles traverse la Terre, elle peut modifier la distance entre deux points de moins que le millième du diamètre d’un noyau d’atome. Pourtant, deux observatoires, le LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) aux Etats-Unis en 2015, et VIRGO en Italie en 2017, ont pour la première fois pu en détecteur une. Une première, qui a titillé la curiosité des scientifiques du monde entier. 
Il ne sera pas dit que l’humanité va rester sans savoir ce que ces ondes nous réservent. Un projet audacieux est en cours en Europe, qui implique toutes sortes d’instances suisses comme le CERN, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de nombreuses entreprises. Le CERN a signé plusieurs accords portant sur l’ingénierie, la sécurité, le vide et les matériaux. Lors d’une récente exposition à Palexpo, Einstein Telescope affichait ses ambitions. 
Un télescope sous terre 
Première information contre-intuitive: le Télescope Einstein va être construit à 300 m sous terre. Ce ne sera pas un cercle comme au CERN, mais un triangle. Par rapport à ceux qui existent, LIGO et VIRGO, comportant deux côtés de 4 km et 3 km, Einstein Telescope en aura trois de 10 km. Les détecteurs font appel à des lasers. Le premier emplacement prévu est à cheval entre la Belgique, l’Allemagne et Pays-Bas, très stable géologiquement. 
En Suisse, de nombreux chercheurs sont impliqués, au CERN, à l’EPFL. Le prof. Jean-Paul Kneib, du laboratoire d’astrophysique de l’EPFL, attend cette réalisation avec un certain espoir. Il relève que «la localisation n’est pas encore définie, ce pourrait être le lieu central en Europe, mais aussi dans l’est de l’Allemagne ou en Sardaigne». Il constate beaucoup d’incertitudes, sera-ce un triangle ou deux L? Les décisions finales ne sont pas prises, il reste encore le lourd financement à compléter. Ces derniers jours, l’Allemagne a décidé que ce projet figurerait parmi les priorités car il a «le plus haut potentiel scientifique et un fort potentiel d’innovation».
Avec le calibre de ce télescope, on pourra mesurer des dizaines d’ondes gravitationnelles chaque jour, contre une ou deux par semaine actuellement, permettant une interprétation plus précise des événements survenus proches du big bang.  Les scientifiques de son laboratoire attendent aussi des progrès dans l’informatique.  Leur tâche consiste à modéliser un maximum de galaxies en 3D, ce qui demande des puissances de calcul gigantesques.  
D’autres projets sont en cours, un programme chinois avec des détecteurs installés dans l’espace et un européen, baptisé LISA. L’univers a encore énormément à nous apprendre, les compétences pour réaliser Einstein Telescope vont également faire progresser toutes sortes de domaines. Pour les entreprises, et la Suisse en compte beaucoup de pointe, il y a ce qu’on appelle le coefficient multiplicateur d’investissement: 1 euro investi rapporte 3,5 à 4 euros.

Matière noire, énergie sombre 

 Difficiles à comprendre, ces notions de matière noire et d’énergie sombre. La première est invisible, n’émet pas, ni n’absorbe de lumière. Elle représente 27% de la masse-énergie totale de l’univers. Elle influence la formation des galaxies, comme une sorte de colle gravitationnelle. 
La seconde est une forme d’énergie hypothétique responsable de l’accélération de l’expansion de l’univers. Elle représente 68% de la masse-énergie de l’univers.  
La matière noire est essentielle dans la formation des galaxies, l’énergie sombre explique pourquoi l’univers s’étend de plus en plus vite. Ce sont de grands mystères qui, à eux deux, cumulent 95% de ce que nous ne connaissons pas! 

A quoi ça sert?

A quoi servent ces recherches fondamentales? Dans notre vie quotidienne, nous pouvons nous poser la question. Eh bien, leur première utilité consiste à nous aider à comprendre notre univers. Cela nous fait une belle jambe, me direz-vous. Détrompez-vous! Le CERN est à l’origine du web, tout simplement, non qu’il découle des découvertes fondamentales, mais par nécessité de communication scientifique. Autre apport: les «PETscans», de nouveaux scanners. Nul ne sait ce que les recherches que permettra Einstein Telescope donneront comme éventuel résultat tangible. Si cela pouvait être un bidule nous libérant de la gravitation, ce serait une sacrée manière de voyager, mais ne rêvons pas… En attendant, la réalisation de Einstein Telescope va exiger un savoir-faire pointu de la part de nombreuses entreprises. Maîtrise du vide, des lasers, de l’ingénierie souterraine, progrès informatiques, etc. Les acteurs qui ont œuvré pour le CERN sont bien placés pour faire avancer Eistein Telescope. 

 

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