Le sort de l’enseigne «à la Tête de Maure» sera prochainement tranché

Rédigé par
Charaf Abdessemed
Lausanne

ESPACE PUBLIC • Raciste ou pas raciste? Cette enseigne, inventoriée dans les collections du Musée historique de Lausanne et située à la rue Cité-Derrière, véhiculerait des stéréotypes discriminatoires. Le propriétaire de l’immeuble a mandaté un historien pour faire la lumière sur son origine, encore incertaine.

C’est une petite enseigne, mais qui depuis un moment intrigue et indigne un habitant de la rue où elle est suspendue. «Je ne suis pas du tout concerné à titre personnel, mais je réagis en tant que simple citoyen, explique Dominik Egli. Je passe tous les jours sous cette enseigne, et à chaque fois, je me dis que c’est un fort mauvais symbole au cœur de Lausanne». 
Et d’expliquer: «Cette enseigne semble à première vue historique. Elle représente le profil d’un homme noir. Son nez est exagérément pointu, ses joues gonflées, ses sourcils épais, ses lèvres rouges et excessivement charnues. Il porte sur la tête un bandeau rouge appelé Tête de Maure. Cette représentation est clairement stéréotypée et raciste».
En janvier dernier, Dominik Egli saisit la Municipalité pour lui demander de faire retirer cette enseigne. Sauf que la Ville n’en est pas propriétaire: «Cette enseigne décorative, n’est pas contraire au droit pénal suisse et son retrait ne peut pas être exigé par la Ville à son propriétaire, lui a donc répondu en substance le Service de l’inclusion et des actions sociales de proximité. Nous comprenons toutefois que cette représentation stéréotypée d’une personne racisée et visible dans l’espace public soit susceptible de heurter les valeurs de certaines personnes».
Ouvrir un débat
Des personnes heurtées, il y en a en effet, et parfois de sources autorisées: «Le panneau représentant un homme noir, situé au 14, rue Cité-Derrière à Lausanne, ne peut pas rester tel quel s’insurge ainsi Hans Fässler, historien et pionnier de la recherche sur l’implication de la Suisse dans la traite transatlantique des esclaves. La Ville doit ouvrir un véritable débat sur les représentations racistes ou racialisantes et ne peut pas se réfugier derrière l’argument juridique selon lequel l’objet ne contreviendrait pas au droit pénal.»
«La référence au Mohrenkopf, c’est-à-dire la tête de Maure, nous ramène, pas seulement à l’époque du colonialisme, mais à celle de l’esclavage, avec toutes les caricatures et les stéréotypes sur l’homme noir, dans un contexte lausannois particulier marqué par les décès d’hommes noirs et d’échanges racistes au sein de la police»,  réagit de son côté Celeste Ugochukwu, chargé de communication du Conseil de la Diaspora Africaine de Suisse. 
La balle est désormais dans le camp de l’ECA-Vaud, l’Établissement Cantonal d’Assurance qui est propriétaire de l’immeuble en question. «Nous avons fait le choix de mandater un historien pour nous renseigner sur le contexte de cette enseigne et comprendre si la piste coloniale est à retenir ou s’il faut y chercher d’autres origines à cette figure du Maure, explique Rafael Stuker, son responsable de la communication. Cette recherche historique, dont les conclusions nous seront rendues d’ici la fin de cette année, nous permettra de prendre la décision la plus adaptée».
«Intérêt patrimonial»
L’origine coloniale de cette enseigne, du reste inventoriée dans les collections du Musée historique de Lausanne, est en effet encore incertaine. Selon la Délégation communale à la protection du patrimoine citée par la Ville de Lausanne, elle aurait néanmoins «un intérêt patrimonial certain en raison de sa facture très soignée et en tant que témoin du passé historique de la rue». 
«J’estime que ce genre d’images où d’enseignes n'ont pas leur place dans l’espace public, conclut de son côté Celeste Ugochukwu. Cependant, je ne suis pas favorable à ce qu’on les détruise mais qu’on les déplace plutôt dans des musées, car ils font tout simplement partie de notre histoire et de notre passé».

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