Donner ses vêtements au recyclage: un désastre écologique?

Rédigé par
Fabio Bonavita
Société

RECYCLAGE • Lausanne, comme l’ensemble du territoire vaudois, est constellée de conteneurs destinés à donner une seconde vie à nos vêtements. Problème, ce circuit de la fripe, aux apparences vertueuses, est pointé du doigt par les milieux écologistes. Qu’en est-il vraiment? Nous avons posé la question aux principaux intéressés.       

Vous pensez faire une bonne action quand vous déposez vos vêtements usagés dans un conteneur? C’est aussi ce que se disait Marie, une quadra vivant dans le quartier Sous-Gare. Jusqu’à un certain soir de septembre lorsqu’elle tombe sur un reportage de l’émission «Sept à Huit» sur TF1: «Nous étions tranquillement installés sur notre canapé avec mon mari et ce que l’on a vu nous a bouleversés. Le journaliste expliquait que les vêtements récoltés en Europe finissaient dans les rivières, sur les plages ou au sein de décharges à ciel ouvert en plein centre d’Accra, la capitale du Ghana. Les habitants confiaient leur désespoir de voir leurs terres polluées par l’industrie de la fast fashion. Ce reportage a profondément changé nos habitudes. Désormais, nous essayons de prolonger la durée de vie de nos vêtements pour éviter d’avoir à les bazarder dans un conteneur.»  
Particularité lausannoise
Une contribution modeste qui, si elle était appliquée par l’ensemble de la population, aurait des effets non-négligeables sur notre bilan écologique, comme le rappelle Fanny Eternod, porte-parole de Greenpeace Suisse: «On dépose nos habits dans les conteneurs avec de bonnes intentions. Malheureusement, une grande partie de ces vêtements finit sur des montagnes de déchets dans le Sud.» Selon la porte-parole, le problème ne vient pas en premier lieu de la collecte de vêtements, mais bien de la surproduction de l’industrie de la mode. Une étude réalisée en 2022 par Greenpeace l’atteste: si les Suisses portaient leur vêtements trois ans de plus, cela permettrait d’éviter 1,5 million de tonnes de CO2, l’équivalent des émissions annuelles de 100’000 personnes. «La meilleure façon de protéger nos écosystèmes est donc de fabriquer  moins de nouveaux produits et d’utiliser ceux en notre possession le plus longtemps possible, ajoute Fanny Eternod. Pour cela, il faut cesser d’acheter du neuf à tout prix, se demander si on en a vraiment besoin et penser aux alternatives comme l’échange, la seconde main, les réparations.» Avant de parvenir à une telle exemplarité, il convient déjà de saisir l’ampleur du phénomène. Que disent les chiffres? Selon les dernières données du Centre du commerce international, 59’900 tonnes de vêtements usagés ont été exportées depuis la Suisse en 2023. Des statistiques corroborées par Laurianne Altwegg, responsable environnement, agriculture et énergie à la Fédération romande des consommateurs (FRC): «En Suisse, chaque personne donne environ sept kilos d’habits usagés par année, le plus souvent via les containers.» Un marché juteux que se partagent principalement les deux sociétés Texaid et Tell-Tex. Sauf à Lausanne, où c’est la société coopérative à but non lucratif Démarche qui a le monopole de la récolte de vêtements, via son entreprise Textura. 
Une particularité assumée par la Ville: «En travaillant avec Textura, nous soutenons l’insertion socioprofessionnelle tout en valorisant les déchets textiles lausannois, note Juliette Montavon, porte-parole à la direction des finances et de la mobilité. C’est pourquoi la Ville s’approvisionne depuis le printemps 2024 en chiffons recyclés auprès de Textura qui donne ainsi une seconde vie aux textiles collectés.»Avant de nuancer: «Pour une part des textiles, Textura n’a pas de meilleure alternative que de travailler avec des recycleurs privés européens.» Ces derniers sont-ils contrôlés pour être sûr que la fripe ne finisse pas dans une rivière en Afrique? Emmanuelle Rossier, responsable du département prestations, recherche et opérations chez Démarche, tempère: «La difficulté réside dans les volumes collectés de plus en plus importants, le mélange des matières à recycler, la baisse de la qualité des textiles rendant leur réemploi complexe ainsi que le manque de solutions industrielles et débouchés locaux.» L’entreprise, qui dispose de 159 points de collecte dans le Canton dont 63 dans la capitale vaudoise, a développé un grand centre de tri à Lausanne et dispose d’un réseau de boutiques de seconde main baptisées «Ateapic» lui permettant de remettre dans le circuit plus de 20’000 pièces de seconde main par mois. De quoi réduire en partie les impacts négatifs de la fast fashion. 
Réglementation lacunaire
En partie seulement, car cette surconsommation est couplée à un autre problème: un cadre juridique lacunaire: «L’un des problèmes est que les exportations de vêtements usagés sont à peine réglementées en Suisse, précise Fanny Eternod. Selon l’Office fédéral de l’environnement, l’exportation de textiles ne nécessite pas d’autorisation, personne ne sait précisément ce qui est exporté et en quelle quantité, et il n’y a pas non plus de contrôle de l’état des vêtements.» La solution avancée par plusieurs ONG environnementales est simple: obliger les entreprises de collecte de textiles à trier les vêtements en Suisse afin que seuls ceux en bon état soient exportés. Elles recommandent aussi que le prix de l’élimination des textiles devrait être compris dans le prix de vente. Une idée à laquelle souscrit également Fauke Kehl, porte-parole chez Texaid, qui gère plus de 6200 conteneurs sur le territoire national: «Le plus important est que, s’il n’existe pas d’infrastructure de tri et de recyclage appropriée dans le pays destinataire, seuls des textiles triés soient exportés, adaptés aux besoins régionaux et répondant exclusivement à la demande.» En attendant qu’une réglementation plus stricte soit adoptée un jour, la meilleure solution reste, de l’avis de nombreuses ONG, de se tourner vers des boutiques de seconde main à vocation sociale telles que l’Armée du Salut, Picpus, Emmaüs ou le Centre social protestant. Cela prend plus de temps que de balancer un sac de vêtements dans un conteneur, mais ce circuit court peut se targuer d’avoir un bon bilan écologique tout en aidant les plus précaires… 

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