
POLÉMIQUE • Après les révélations de propos racistes, sexistes et antisémites dans la police lausannoise, le conseiller communal socialiste Yusuf Kulmiye dénonce un système qu’il faut réformer en profondeur. S’il refuse de mettre tous les policiers dans le même panier, il appelle à des mesures fortes pour restaurer la confiance.
Lausanne Cités: Quelle a été votre réaction en apprenant l’existence de ces messages dans des groupes WhatsApp liés à la police lausannoise?
Yusuf Kulmiye: J’ai surtout été surpris par l’ampleur du phénomène et par le nombre de personnes impliquées, pas tant par le contenu ni par l’existence même de ces groupes.
En novembre 2022, vous affirmiez déjà dans nos colonnes qu’il fallait réformer la police, votre appel n’a pas été entendu…
Je m’en souviens bien. J’alerte depuis des années. Aujourd’hui, tout cela éclate au grand jour. Ce que l’on a découvert n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg.
Que voulez-vous dire?
Ce qui est véritablement effrayant, c’est de constater comment certains propos tenus dans ces groupes WhatsApp trouvent un écho concret dans les pratiques de terrain, en particulier dans les interactions avec certaines minorités à Lausanne. Des policiers eux-mêmes sont sortis du silence, dénonçant des propos et comportements discriminants, voire racistes, ainsi que des actes de violence injustifiée.
Quel impact ces révélations peuvent-elles avoir sur la confiance de la population envers la police?
La rupture de confiance ne concerne pas que les minorités. Beaucoup de Lausannois seront désormais méfiants lorsqu’ils auront affaire à la police.
Est-ce un problème spécifiquement lausannois?
Non. C’est un problème vaudois, suisse, européen, voire mondial.
La Municipalité a annoncé un plan d’action avec sanctions et réformes. Le trouvez-vous suffisant?
Un immense travail attend la Municipalité, mais aussi l’ensemble des élus. Au vu des révélations, il est impératif que l’ensemble des forces politiques, de la gauche radicale à l’UDC, se montrent fermes et cohérentes. Il faut exiger les réformes nécessaires, poser les questions dérangeantes et garantir un encadrement exemplaire. Cela doit se faire sans ambiguïté, tout en soutenant les policières et policiers dans leur mission fondamentale: celle de protéger l’ensemble de la population lausannoise, sans distinction.
Vous ne jetez donc pas l’opprobre sur tous les policiers?
Absolument pas. Ce serait une erreur. Les policiers qui n’ont rien à se reprocher doivent pouvoir exercer leur travail sereinement, sentir qu’ils sont soutenus par les élus et la population.
Quand vous parlez de «racisme systémique», certains comprennent que tous les policiers sont racistes…
La grande majorité des policiers n’est pas concernée. Mais le système a, trop longtemps, permis à certains comportements racistes ou discriminants de prospérer, en entretenant un sentiment d’impunité. Depuis des années, Pierre-Antoine Hildbrand nous ignore en opposant la présomption d’innocence à toute critique, sans jamais assumer les conséquences. Aujourd’hui, une enquête est en cours, et il faudra aller jusqu’au bout. Si des responsabilités sont établies, il faudra les assumer pleinement — y compris en suspendant les personnes impliquées.
Être policier à Lausanne est devenu plus difficile avec les problèmes liés au deal de rue ou à la mendicité, ceci peut-il expliquer certaines dérives?
La tension a effectivement augmenté ces dernières années, notamment en lien avec les problématiques de deal de rue ou de mendicité. Mais cela ne peut en aucun cas justifier de tels débordements. Les propos visés ne concernent pas uniquement certains publics stigmatisés, mais s’étendent à d’autres groupes de manière générale.
Quelles mesures proposez-vous pour restaurer la légitimité de la police?
La création d’une police des polices romande, l’usage généralisé des bodycams, un récépissé après chaque contrôle, une formation continue sur les droits humains et la lutte contre les discriminations. Il faut aussi encourager les policiers à aller à la rencontre des communautés étrangères ou marginalisées.
Votre lecture des émeutes qui ont mis en émoi le quartier de Prélaz?
C’était un ras-le-bol mêlé à une vive émotion. En quelques années, 16 personnes noires sont mortes dans le canton de Vaud après avoir eu affaire à la police. Les deux scootéristes décédés récemment ont fait déborder le vase.
Vous attendiez-vous à de tels débordements?
Non, j’ai été surpris. Je ne pensais pas à deux nuits de ce type. Mais en tant qu’élu, nous devons entendre ce qui s’est exprimé, tout en rappelant que la violence n’apporte pas de solutions.
Comment la Municipalité peut-elle instaurer un dialogue constructif avec les jeunes et les communautés qui se sentent discriminées?
Il faut aller à leur rencontre et travailler main dans la main avec le Centre socioculturel de Prélaz-Valency. Et j’appelle tous les élus à éviter toute stigmatisation en parlant d’«ensauvagement» de ces jeunes.