FOI • Pendant que les églises catholiques et réformées perdent des fidèles, certains types de croyances touchent plus facilement les jeunes. Reportage dans les groupes jeunesse de deux églises évangéliques lausannoises.
Harry Potter, Star Wars, la Grande Vadrouille, dès les premières notes, les réponses fusent. Malgré la moyenne d’âge, qui avoisine les 16 ans, certains grands classiques restent visiblement indémodables. Il est vendredi soir, et un petit blind test lance la soirée des Neos, une trentaine de jeunes qui se retrouvent chaque semaine pour prier et écouter la prédication de leur pasteur Raphaël.
En chaussettes, pantoufles ou baskets, ils sont ici chez eux. Section jeunesse de l’église Home à Lausanne, les Néos ont entre 14 et 18 ans. Après le blind test, la soirée se poursuit dans une salle adjacente, agencée comme une petite salle de concert. Tout le monde s’installe sur les chaises en arc de cercle et le moment de louange commence. Loin des cantiques traditionnels, ici, synthétiseurs et guitares résonnent dans les amplis, les paroles défilent sur deux grands écrans.
Louanges et prières en vogue
Comment expliquer leur enthousiasme, alors que les Églises traditionnelles se vident? La raison, à en croire les principaux concernés, serait à trouver dans les potes, l’ambiance, la communauté. Pour Matthieu, 23 ans, aujourd’hui responsable du groupe de jeunes, c’est l’esprit de famille. «Ici on ne se sent pas jugé, on vient avec nos différences et chacun a sa place.» Pour Nathan, 21 ans, c’est «comme une grande famille qui se soutient et ne se juge pas». «Il y a un côté attrayant, dans la manière avec laquelle notre foi s’exprime, explique Raphaël Bossel, pasteur jeunesse fraîchement diplômé de la Haute École de Théologie à Saint-Légier. Regardez autour de vous, ça ne fait pas du tout cathédrale, et je sais que pour certains jeunes, c’est rassurant et moins intimidant. Il y a un côté assez émotionnel aussi dans nos soirées, c’est très fort.» Pendant la louange, certains pleurent, d’autres ferment les yeux ou lèvent les bras.
En mars dernier, une enquête du Pew Research Center constatait que l’Europe ne cessait de perdre des Chrétiens. Dans le canton de Vaud, ces derniers constituaient 49% de la population en 2019, contre 60% en 2010. Du côté des autres communautés chrétiennes, qui incluent les églises de type méthodiste, luthériennes, anglicanes, orthodoxes, baptistes ou anabaptistes, entre autres, la tendance est inverse car elles ont augmenté de 5,6% entre 1990 et 2019. Ici, la baisse de popularité des églises traditionnelles est donc bien loin. Pour Simon Mastrangelo, docteur ès sciences sociales et spécialiste des questions religieuses: «Les jeunes vivent une époque de perte de repères et traversent une sorte de désert sur le plan spirituel. Les mouvements religieux qui, en Suisse, parviennent le mieux à répondre aux questionnements et besoins de réponses des jeunes sont les communautés évangéliques. Ces groupes permettent de vivre une forme de spiritualité très vivante et qui stimule un esprit de vie commune. Elles parviennent souvent mieux que les églises traditionnelles à rejoindre les modes dont les jeunes se questionnent sur la spiritualité, notamment par l’usage extensif de contenus diffusés sur les réseaux sociaux.»
Une fois les guitares posées, c’est le pasteur Raphaël Bossel qui prend la parole pour sa prédication. Aujourd’hui, on parle identité, doutes, et bien sûr, de la Bible. «J’aime beaucoup les prédications, mais j’aime encore plus le contact avec les jeunes, précise-t-il. Être au contact des plus jeunes que moi, c’est quelque chose que j’ai toujours aimé, j’aime profondément Dieu et l’Église, alors pour moi, pasteur jeunesse, c’était naturel.»
Prier comme dans sa «maison»
À quelques kilomètres de là, dans un autre quartier lausannois, une soirée similaire a lieu au Gospel Center de Lausanne. Tout comme Home, les locaux ne ressemblent en rien à l’image traditionnelle d’une église. Des poufs ont remplacé les bancs en bois, pas d’autel et pas de chaire. À la place, machines à café, décors très suédois et cuisine ouverte. Les cultes du dimanche matin, eux, se font au Base Bar à Sévelin, une fois que les fêtards du samedi soir ont libéré les lieux. «Le pas de porte est facile à franchir, explique la pasteure Claire-Lise Cherpillod. Ils y sentent la présence de Dieu, même s’ils n’arrivent pas toujours à mettre des mots dessus.»
En 2024, la fréquentation moyenne des dimanches matin tournait autour des 135 personnes à Home, cadrés par une équipe de 40 bénévoles. Pour le groupe du vendredi soir, des jeunes de 14 à 23 ans se retrouvent. Ce soir-là, après un repas en commun, une activité leur a été proposée par leurs accompagnants. Se regarder dans un miroir, décrire ce que l’on voit. Là aussi, les émotions sont fortes et les participants se soutiennent les uns les autres avec prières et louanges.
«La première fois que je suis venu, c’était comme une maison où je pouvais venir lâcher tout ce que j’ai vécu pendant la semaine», explique Daniel, 20 ans. Pour Océane, 23 ans, devenue il y a peu responsable d’un groupe, ce qu’apportent ces communautés répond à une aspiration. «Les gens ont besoin d’être aimés d’une autre manière que tout ce qu’ils ont connu jusqu’à aujourd’hui. Dieu apporte une paix qu’on ne connaissait pas avant.»
Relation vivante avec Dieu
À Home, ils seront plusieurs à se faire baptiser cette année, dont Matthieu. Il y a quelques temps, sa femme et lui ont vécu une fausse couche.Elle fut, selon lui, l’élément déclencheur: «Il y a beaucoup de monde qui aurait pu juste mettre la faute sur Dieu, en lui demandant pourquoi il permet le mal, lui qui est si bon. Je n’ai pas ressenti ça. Je me suis dit que si ça s’était passé comme ça, c’était pour nous éviter une décision encore plus lourde si on avait appris que notre bébé avait une maladie. Depuis ce jour-là, ma relation avec Dieu est beaucoup plus vivante.»
Souvent considérée avec peur et mépris pour certaines de ses idéologies concernant par exemple la famille, l’Église Évangélique a peut-être tout de même quelque chose à apporter à ses consœurs traditionnelles, en pleines crises existentielles.