Des restes humains «coloniaux» au Musée d’archéologie et d’histoire

Rédigé par
Charaf Abdessemed
Lausanne

PASSÉ • Le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire de Lausanne est détenteur d’une dizaine de restes humains issus de contextes coloniaux. Ils résultent tous du parcours de Lausannois un peu partout dans le monde.

La Suisse n’a pas eu d’empire colonial mais elle a une histoire coloniale. Et une part de celle-ci se trouve aujourd’hui dans les collections du Musée cantonal d’archéologie de Lausanne (MCAH).  
À la faveur d’une étude qui documente, pour la première fois à l’échelle du pays, le nombre de restes humains issus de contextes coloniaux conservés dans l’ensemble des musées et collections suisses, on apprend en effet que le MCAH est détenteur de huit crânes, deux ossements ainsi que de quelques éléments momifiés. «Contrairement à d’autres musées dans le monde, il n’y a pas de collections anthropologiques extra européennes constituées par le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, explique Claire Brizon, chargée de recherche au musée. Les restes humains, ou “vestiges humains” selon la traduction de l’appellation anglophone human remains, que nous détenons, nous sont parvenus via des  particuliers lausannois, et plus largement vaudois, ou par leurs contacts. Ils résultent donc de concours de circonstances liés au passé et pas d’une politique de collection muséale en tant que telle».
Deux frères lausannois
Ainsi en est-il du don de deux personnes momifiées, consenti par deux frères lausannois, César et Jacques Dantz, acquis dans le cadre de leur activité marchande à Istanbul, puis au sein de la colonie suisse de Chabag, dans le premier quart du XIXe siècle: «L’arrivée, durant l’hiver 1823, des deux momies venant d’Egypte offertes par les frères Dantz en 1822 est (…) rocambolesque. Probablement achetées dans un bazar de Constantinople où résident ces anciens étudiants de l’Académie, les deux corps rejoignent Marseille par portefaix et bateau depuis l’Empire ottoman, puis transitent par voiture hippomobile via Genève jusqu’à Lausanne, à un tarif jugé exorbitant par l’État de Vaud qui règle les frais de transport», peut on ainsi lire dans un Hors-Série de la revue «PatrimoineS, Collections cantonales vaudoises», publié en 2020. 
«L’existence de ces restes humains est connue et documentée de longue date et le musée cantonal d’archéologie a en quelque sorte été un précurseur, commente Claire Brizon. En 1993 déjà, un inventaire mené sur toutes les collections du musée par Geneviève Perreard Lopreno mentionnait l’existence de ces restes coloniaux extra européens».
Élucider l’histoire 
Outre l’Égypte donc, les vestiges humains détenus par le MCAH proviennent d’Amérique du Nord, d’Australie ou de Bolivie, mais pas d’Afrique sub-saharienne. «Notre démarche, pluridisciplinaire, est de tenter d’élucider l’histoire de ces ossements, de retrouver le contexte de leur circulation et d’arrivée en Suisse, ainsi que de tenter d’écrire au moins en partie, la biographie des personnes à qui ces ossements appartenaient, de connaître leur sexe, leur âge au moment du décès et les circonstances de celui-ci. On a par exemple constaté que l’un des crânes momifiés originaire de Bolivie a fait l’objet d’une trépanation cultuelle ou culturelle», détaille Claire Brizon. Se pose enfin la question essentielle de l’éventuelle restitution de ces vestiges hérités du passé, une revendication de plus en plus pressante de la part de nombre d’anciens pays colonisés. 
«Nous n’avons pas reçu de demande de restitution, note sans détour Claire Brizon, mais nous avons été proactifs en contactant nous-mêmes le gouvernement australien à l’origine d’une démarche mondiale demandant de signaler la présence de ceux qu’ils dénomment “Les Ancêtres”.» 

 

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