Cela fait plus d’un an que Stefania* prépare les repas de sa petite famille les yeux rivés sur le parc de la Brouette. Elle l’avoue à demi-mots, les propriétaires de chien sont presque devenus son obsession, pas étonnant donc que lorsqu’elle doit couper des légumes ou faire mijoter un ragoût, elle en profite pour jeter un œil sur leurs allées et venues depuis la baie vitrée de sa cuisine. Dans un but bien précis: «J’essaie de démasquer ceux qui laissent leur chien déféquer et s’en vont sans ramasser les crottes. En effet, depuis la réouverture du parc en mai 2023 après la fin des travaux du LEB, une bonne partie des chiens du quartier viennent faire leurs besoins dans le gazon, rendant cet espace vert inutilisable pour les enfants et les habitants qui souhaitent par exemple profiter des tables de pique-nique.»
Panneaux
peu dissuasifs
Une situation qui date donc, mais qui a évolué au fil des mois. Car Stefania* n’est pas restée les bras ballants, elle a multiplié les courriers adressés à la Municipalité afin que sa petite fille, et les autres enfants du quartier, puissent enfin jouer pieds nus sans risquer de marcher dans une crotte. «Après de nombreux échanges avec la Ville, des panneaux pédagogiques ont été posés aux différentes entrées du parc mais ces derniers n’ont absolument aucun effet sur les propriétaires de chiens, qui passent à côté sans les regarder. Plusieurs de mes voisins d’immeuble partagent mon agacement.» Lors de notre reportage sur place, les deux panneaux invitant les maîtres à ne pas laisser leur chien aller sur le gazon et dans le bac à sable étaient bel et bien là. Mais il ne nous a pas fallu attendre plus d’une minute pour voir une dame arriver, déambuler au sein du parc, et laisser son boxer uriner et déféquer sur la pelouse. N’a-t-elle pas vu les mises en garde? S’en fiche-t-elle?
Nous lui avons posé la question et sa réponse n’a pas tardé: «Bien entendu que j’ai pris le temps de lire ces panneaux, mais je ne vais tout de même pas aller promener mon chien dans le Parc naturel du Jorat, non? Il doit faire ses besoins, c’est en bas de chez moi, donc je viens ici, assène-t-elle tout en plaçant la déjection de son toutou dans un sachet. Je ramasse à chaque fois ses excréments donc les voisins du parc pourraient faire preuve d’un peu de tolérance même si tous les maîtres ne sont pas aussi respectueux, c’est vrai.»
Quatre dénonciations
De la tolérance, Loïc en a à revendre. Ce quinquagénaire passe une bonne partie de ses pauses de midi sur l’un des bancs jouxtant le bac à sable. Il observe cette guerre larvée entre les parents et les propriétaires de chien avec un certain amusement. «C’est le symbole de notre époque qui se veut toujours plus individualiste, chacun pense à sa pomme. L’année dernière, il faut l’avouer, les pelouses du parc étaient jonchées de crottes, mais depuis quelques semaines, j’ai l’impression que la situation s’est quelque peu améliorée.» Un avis que réfute René*, un autre voisin du parc rencontré sur place: «Les pauvres clébards n’y sont pour rien si au bout de la laisse leur maître se comporte comme un porc. Chaque matin, quand je fais ma balade je découvre une ou plusieurs crottes ou même parfois des sachets contenant une crotte posés dans l’herbe. Alors qu’il suffit de faire quelques pas pour aller les mettre dans la poubelle prévue à cet effet, c’est affligeant. J’ai l’impression que la Ville ne sait même pas ce qui se trame ou peut-être qu’elle s’en fiche…»
Cohabitation
Pour en avoir le cœur net, nous avons contacté Natacha Litzistorf, municipale en charge du logement, de l’environnement et de l’architecture, et donc responsable du Service des parcs et domaines de la Ville. L’élue écologiste se veut rassurante: «La cohabitation est vraiment le maître-mot car nous devons être garants du respect mutuel pour que chacun trouve sa place dans l’espace public vert. Les panneaux, posés temporairement le 22 mars dernier, permettent aux surveillants des parcs de s’appuyer sur les informations qu’ils contiennent pour entrer en discussion avec les promeneurs de chiens. Un certain temps sera nécessaire pour que les bonnes pratiques s’installent.»
Une réponse qui peine à convaincre Stefania*: «Je sais que la Ville se donne de la peine, mais elle n’a que deux surveillants assermentés pour superviser l’ensemble de ses espaces verts, c’est nettement insuffisant!» Là aussi, Natacha Litzistorf nuance: «Oui, deux surveillants professionnels font partie du personnel du Service des parcs et domaines. Mais en complément, 22 collaborateurs du service, travaillant dans les parcs, sont assermentés et chargés de faire de la surveillance, voire des dénonciations.» Au parc de la Brouette justement, quatre dénonciations ont été prononcées depuis le début de l’année, trois pour des chiens non-tenus en laisse et une pour non-inscription au registre fédéral de recensement des chiens. «Cela signifie qu’aucun maître qui a laissé la crotte de son animal n’a reçu l’amende d’ordre qui s’élève à 150 francs, conclut Stefania*. C’est la preuve que la surveillance doit encore être renforcée…»
*prénom fictif, identité connue de la rédaction