L’avenir s’annonce périlleux pour le nouveau club de jazz «Les Jumeaux»

Rédigé par
Frédéric Nejad Toulami
Lausanne

CULTURE • Lancée en janvier dans le quartier du Flon à Lausanne, la salle de concerts jazz fusion a rouvert fin septembre après la pause estivale. Pourtant subventionnée, elle semble confrontée à des problèmes financiers. Explications.

«Nouvelle ou dernière saison?» Cette petite phrase, en introduction d’un appel par courriel à financement participatif, a attiré l’attention. Trop peut-être. Certains, inquiets, se sont demandés pourquoi et comment «Les Jumeaux» pouvait déjà être menacé dans son existence huit mois après son lancement. En consultant la page du site Wemakeit dédiée au crowfunding du club lausannois, on découvre le montant total espéré lors de cette récolte de dons: 15’000 francs. La viabilité de ces lieux déjà prisés par tout un public plutôt jeune, mélomane et festif, ne dépend-elle que d’une telle somme plutôt modeste?
Pour mémoire, le club des Jumeaux a été imaginé par une association montée par le codirecteur du Cully Jazz Jean-Yves Cavin avec la complicité du syndic Grégoire Junod et en partenariat avec la société Mobimo qui possède le bâtiment qui abrite le lieu ainsi que tout le quartier du Flon. Niché au 2e sous-sol du numéro 19 de la rue de Genève, il a une capacité maximum de 300 personnes. L’espace possède un long bar d’un côté et une grande scène à l’opposé. Si les live y ont la part belle, des soirées deejays y sont aussi organisées les jeudis et les samedis. A noter que depuis la rentrée, l’entrée des concerts du vendredi est offerte, suivis d’after-parties, tout comme les fameuses Jams du mercredi. Le trompettiste japonais Takuya Kuroda, le Vaudois François Lindemann et son Five Men in Blew Note (dont le bassiste Marcello Guilliani), Julie Campiche Quartet, l’artiste camerounais Étienne Mbappé ou encore Stephan Eicher comptent parmi les nombreux musiciens qui sont déjà venus y faire vibrer les murs et les cœurs, pour ne citer qu’eux.
Pour la «survie» du club
«Bien que nous soyons infiniment reconnaissants de votre accueil depuis janvier, le projet aurait besoin de pouvoir complètement éclore et sortir de sa phase embryonnaire car malgré des débuts prometteurs, l’avenir des Jumeaux est loin d’être tout à fait serein.» L’appel à l’aide financière du public a été envoyé par courriel et affiché sur le site web. Il est décrit comme «indispensable d’acquérir du matériel technique afin d’offrir de bonnes conditions aux artistes et de pouvoir continuer à proposer des concerts exceptionnels. Ce n’est qu’un fragment parmi tous les aspects nécessaires à la poursuite du projet des Jumeaux, mais sa réalisation nous donnerait un sacré coup de main pour la survie du club dans son ensemble.» Si le budget global des Jumeaux n’est pas dévoilé, il avait été annoncé que son loyer était pris en charge par la Ville. Le Canton, la Loterie Romande et des Fondations privées actives dans la culture co-financent le club lausannois. Le business plan a-t-il été mal conçu pour en arriver déjà à évoquer des craintes sur la viabilité des lieux? 
Quel modèle économique?
«Nous avons peut-être été trop alarmistes dans les termes choisis pour attirer l’attention, admet le directeur artistique Arnaud Di Clemente. Il faut avoir en tête qu’organiser des concerts ne suffit pas financièrement pour être rentable, à l’image de ce que connaissent les festivals. Le chiffre d’affaires réalisé au bar est alors important.» Et de souligner qu’avec la capacité maximale d’accueil de 300 personnes, cela n’est pas suffisant pour être bénéficiaire.
Faire payer un billet d’accès ou offrir l’entrée selon les soirées? L’équipe des Jumeaux cherche encore le business model idéal. «Nous n’existons que depuis le début de l’année et nous devons faire preuve de prudence financière, souligne Arnaud Di Clemente. Après cette première saison, nous voulons à présent nous mettre à l’abri.» Il explique que jusqu’à présent les équipements pour la sonorisation de la scène et des artistes étaient loués, mais c’est moins coûteux à terme d’acheter. «Une manne financière additionnelle nous permettra aussi de mieux rémunérer les artistes», précise Arnaud Di Clemente, également coprogrammateur au Cully Jazz Festival.
Demande de subvention
La direction des Jumeaux a aussi demandé à la Ville une subvention annuelle. Ce que nous confirme le Chef du service culturel lausannois, Michael Kinzer, qui nous affirme être au courant de la situation financière du club. «La subvention actuelle correspond au loyer des locaux mis à disposition de l’association Les Jumeaux Jazz Club, soit 92’431.-, décrit-il. Le projet de budget 2025 soumis par la Municipalité de Lausanne au Conseil communal propose une nouvelle subvention annuelle de fonctionnement à hauteur de 30’000.-.» Qu’en est-il de l’autre club historique de jazz à Lausanne, le Chorus? Sa subvention annuelle se monte à 145’000.- pour le fonctionnement et à 38’100.- correspondant au loyer des locaux mis à disposition de sa fondation.
Aux yeux du chef des affaires culturelles de la capitale vaudoise, Lausanne retrouve une dynamique très stimulante et réjouissante dans le domaine des musiques actuelles. «Avec l’ouverture prochaine du Romandie et de la Brèche (lire l’encadré), et le succès artistique et public rencontré par le nouveau Jumeaux Jazz Club la scène musicale locale est en pleine effervescence. Les Docks joue un rôle moteur au niveau national, et la vitalité des festivals comme le LUFF, ainsi que la notoriété des clubs privés renforcent cette dynamique. Grâce à la qualité reconnue de la filière Master de la Haute École de Musique et des écoles de musique, couplée au renforcement des subventions des clubs, de la mise en place d’une politique de soutien en faveur de l’industrie musicale, et de l’ouverture de 29 nouveaux locaux de répétitions au bénéfice d’artistes professionnels, les conditions cadre sont solides pour assurer la vitalité de la scène musicale de notre région, égrène Michael Kinzer. Ça stimule l’entrepreneuriat et consolide l’attractivité pour le public. Sans oublier la mise en place depuis 2024 d’une nouvelle politique de soutien aux artistes.»
En fin de semaine passée, les contributions des donatrices et donateurs affichées sur internet se montaient à près de 80 % des 15’000 fr. espérés par l’équipe des Jumeaux. 

Des scènes locales  soutenues

A l’exception des Jumeaux, tous les autres clubs soutenus par la Ville de Lausanne bénéficient déjà d’une subvention de fonctionnement, en sus de la mise à disposition de leurs locaux. Le Romandie pour 190’000.- par an, avec une proposition de hausse au budget 2025 pour un montant de 246’000.-. La salle des Docks touche 700’000.- annuel sans hausse prévue en 2025. Idem pour le Chorus qui bénéficie de 145’000.- de subventions publiques de la Ville. Quant à la nouvelle salle, La Brèche, qui ouvrira bientôt sous le grand Pont, son aide publique annuelle est budgétisée à 179’100.- .

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