
URBANISME • La mobilité de l’Ouest Lausannois a toujours été une épine dans le pied de la planification urbaine et démographique du district. Et la dernière décision de Chavannes-près-Renens de remettre en question la jonction autoroutière rebat les cartes. Non sans provoquer quelques amertumes du côté de Crissier.
L’annonce avait pris tout le monde de court. En janvier, la commune de Chavannes annonçait ne plus vouloir d’une entrée d’autoroute sur son territoire, pourtant décidée par convention en 2021. Le flux continuera alors pour l’instant à passer par celle de Crissier, pourtant déjà à l’asphyxie. Car ce sont 110’000 véhicules qui passent quotidiennement par la jonction.
Pour le syndic Laurent Bovay, la nouvelle a donc du mal à passer. Dans son bureau, qui surplombe une partie de Crissier, il exprime sa déception. «Ça fait des décennies qu’on parle de ce système de mobilité avec une entrée d’autoroute à Chavannes pour soulager la région de Crissier et Bussigny. Cette planification permettait de soulager cette entrée d’autoroute et de raccourcir la distance entre les habitants et l’autoroute. On a fait tout le développement de notre district sur cette base-là, y compris les plans d’affectation, et maintenant le changement de système de mobilité questionne la validité de tous ces plans.»
Retour en arrière
Selon le communiqué de la commune de Chavannes-près-Renens, le projet initial, pourtant révisé en 2021 en faveur d’une version plus verte, «n’est pas compatible avec la stratégie et les mesures de mobilité mises en place par la commune.» Elle veut continuer à développer une mobilité plus douce, elle qui est déjà entourée par le métro presque de tous les côtés et qui sent le besoin de poser des limites.
La syndique Loubna Laabar explique les raisons de cette décision unanime de la Municipalité. «Nous sommes déjà traversés tout au long de la commune par l’autoroute, ce qui génère passablement de désagréments liés à la pollution et le bruit pour notre population. La jonction autoroutière et ses mesures d’accompagnement, c’est-à-dire les nouvelles routes à créer nécessaires à son fonctionnement, aboutiraient au centre de notre ville et viendraient exacerber ces effets et les amplifier, sans compter un mitage désastreux de notre territoire et les coûts exorbitants que notre commune devrait supporter.»
Mais les automobilistes sont là, et si, depuis, la Confédération s’est immiscée dans les discussions et a affirmé que cette jonction se fera, pour Laurent Bovay, la confiance est rompue, et les raisons invoquées sont trop faibles. «Il faut qu’ils s’enlèvent cette fausse idée que si on fait cette jonction, tout le monde passera chez eux. Elle desservira leur région, pas la nôtre. Alors oui, on est tous pour l’écologie. Mais c’est un peu léger dans le contexte général.»
Crissier sans jonction
C’est que Crissier a besoin de retrouver son identité, au-delà de sa jonction autoroutière. Et cela passe par une absorption des arrivées d’habitants, avec la création des infrastructures nécessaires.
«On a toujours été une force tranquille, précise Laurent Bovay. On était le petit village avec une zone commerciale bien développée, et on a toujours eu un bon équilibre, avec le même nombre d’habitants que de postes de travail. On arrive à 11’000 habitants, mais nous n’avons pas pour ambition d’être un méga-centre.» La commune ne souhaite d’ailleurs pas de projets comme ceux des tours de Malley ou de Chavannes, mais elle doit cependant absorber les nouveaux habitants, qu’il faut bien loger quelque part.
Après plusieurs projets immobiliers comme le nouveau quartier «Oassis» - à deux pas de la fameuse jonction - ou celui des Uttins, en direction de Villars-Ste-Croix, le dernier à faire parler de lui depuis de longs mois s’appelle «En Chise». Situé entre l’administration communale et la zone industrielle, il devrait voir le jour en 2027. Mais pour ce qui est des infrastructures intercommunales, Crissier attend sur des décisions qu’elle ne maîtrise pas en entier. «Nous, on a fait le travail. On est dans l’attente de projets supra-communaux. Regardez ce bazar sur ces routes! Et maintenant il faut qu’on dise à nos habitants que Chavannes n’est pas encore décidé, qu’il va falloir attendre encore? Ils se sentent abandonnés.»
Mais selon Laurent Bovay, il faut maintenant voir les projets dans leur ensemble. Il aurait même fallu le faire plus tôt. «On a une sale habitude de traiter les thématiques les unes après les autres. D’abord le développement de l’urbanisation, puis la thématique des infrastructures de transports publics qui coûtent plus cher que prévu, et maintenant celle de la mobilité.»
Pas de collaboration à tout prix
C’était la raison de la création du bureau de stratégie et développement de l’Ouest lausannois, au début des années 2000. Dans un territoire où les limites communales sont floues et où tous les dispositifs dépendent les uns des autres, il répondait, et répond toujours, à un besoin vital. Mais sa marge de manœuvre est très limitée, et ça, Laurent Bovay en est bien conscient, puisqu’il en est également le président depuis deux ans. «Nous ne souhaitons pas qu’il y ait une désolidarisation des huit communes qui ont toujours fonctionné ensemble, malgré les appartenances différentes de leurs exécutifs. C’est quelque chose qui est cité en exemple, on avait réussi à toujours mettre la gestion intercommunale avant l’aspect politique. Jusqu’à ce premier accroc.»
Le début de la fin pour la collaboration intercommunale de l’Ouest? Loubna Laabar se veut rassurante. «Premièrement, on a dit qu’on restait ouverts à la discussion pour trouver une alternative. Mais pas à n’importe quelle condition. C’est une opportunité d’actualiser une vision qui n’est plus compatible, dans sa forme actuelle, avec la réalité de la densification de notre territoire et d’y intégrer les réflexions sur le M1, qui font partie intégrante du traitement de ce goulet. Naturellement, nous avons toujours la volonté de bien travailler ensemble à l’Ouest.» Chez Laurent Bovay aussi, l’optimisme reste de mise. «Il y a tellement d’autres sujets que les communes partagent et sur lesquels elles travaillent, et ça se passe bien.»
Une désolidarisation qui tombe cependant mal, peu avant le dépôt du projet d’agglomération Lausanne Morges (PALM). Sa cinquième génération a été déposée au Conseil d’Etat il y a quelques jours. Il sera ensuite déposé auprès de la Confédération. Il faudra donc encore attendre pour que le sort du district le plus dense du Canton soit scellé.