Emeutes: Comment le quartier de Prélaz peut-il désormais se reconstruire?

Rédigé par
Elise Dottrens
Société

REPORTAGE • Deux semaines après les émeutes qui ont ébranlé ce quartier populaire et multicuturel, les fondations restent fragiles. Mais dans le coin, tout le monde est unanime: le problème ne vient pas uniquement de Prélaz, et ses habitants ne méritent pas d’être stigmatisés. 

Il est 18 heures à Prélaz. Le trafic circule à un rythme effréné sur l’avenue de Morges. Les passants courent pour se mettre à l’abri de la pluie. Ici, la vie continue comme si, il y a deux semaines, le quartier ne s’était pas embrasé de colère. Pourtant les rues portent encore les stigmates des événements des dernières semaines. Le béton est craquelé, l’abri bus en miettes. Et maintenant? Comment le quartier va-t-il pouvoir dépasser la réputation acquise pendant les émeutes? 
Car derrière l’apparente routine, c’est un quartier meurtri et prudent qui reprend gentiment ses marques. «Mon fils a cinq ans. Il est traumatisé et ne veut plus sortir», admet Silvia, une jeune maman de Prélaz. «On est choqués.» À ses côtés, son amie Nadia acquiesce. «J’ai un fils de l’âge de Marvin. J’ai peur pour lui.»  Mais pour les deux femmes, issues de l’immigration, une chose est claire: ce n’est pas Prélaz, le problème. 
«Cela aurait pu arriver partout»
Le 24 août dernier, Marvin, 17 ans, était victime d’un accident de scooter à l’avenue William-de-Charrière-de-Sévery, deux rues plus haut. Il fuyait la police. Sa mort, la deuxième dans les mêmes circonstances depuis le début de l’été, a secoué non seulement les milieux hostiles à la police, mais également tout un quartier auquel il appartenait. Les deux nuits d’émeutes qui ont suivi ont été relayées par des médias jusqu’au-delà des frontières suisses. «Alors qu’ils n’étaient même pas d’ici! La plupart de ces jeunes sont venus d’autres quartiers, même d’autres villes!», s’offusque Nadia. Preuve en est que la situation reste tendue, une manifestation organisée par le POP Zakaria Dridi a failli remettre le feu aux poudres, lundi 1er septembre dernier. Les jeunes du quartier, une bande d’une dizaine d’adolescents, lui ont vite fait comprendre qu’il n’avait pas sa place ici. «Pourquoi venir ici sans nous avoir consultés?» en laisse entendre un, sans pour autant vouloir témoigner. Ce qu’ils ressentent est partagé par beaucoup. «C’est pas ici qu’il faut manifester parce que Prélaz, c’est un quartier parmi d’autres. Les problèmes, il n’y en a pas qu’ici», se plaint Helat Taher, qui a emménagé il y a une dizaine d’années. Pour elle, le quartier est sur la sellette. «Si dans deux semaines il se passe quelque chose, les gens diront que c’est normal, que c’est Prélaz.» Elle et son frère fréquentent les jeunes du quartier. Des jeunes qui, selon la pasteure de l’église protestante de Saint-Marc à Prélaz, Jocelyne Müller, sont bouleversés. «On montre ceux qui mettent le feu aux poubelles, mais il faut montrer ceux qui se recueillent tous les jours sur le lieu de l’accident ou méditent. Leur émotion est touchante.» 
Solutions
Jean-David Pantet est président du Mouvement pour la Diversité dans les Institutions et cofondateur du think tank UPYA, qui vise à rassembler et encourager les jeunes issus de la diaspora africaine. Il a grandi à la Borde, quartier en tous points similaire à celui de Prélaz. Il rejoint les témoignages du terrain: pour lui, ces émeutes auraient pu arriver n’importe où. «Prélaz est un quartier populaire, mais il n’a pas particulièrement mauvaise réputation. Dorénavant, il ne faut pas faire l’erreur de penser que c’est un problème de Prélaz.» Cependant, pour lui, il n’est pas surprenant qu’un quartier majoritairement habité par une population issue de l’immigration ait été un terreau fertile à la colère. «Le contexte tendu qu’on connaît depuis pas mal d’années, entre les violences policières, le racisme systémique qui vise cette population, et surtout l’impunité dont profitent les agents qui commettent ces actes, a alimenté la frustration.» Il faudra du temps à Prélaz pour lisser l’image laissée par les violences. Mais l’espoir est là, et pour beaucoup, les clés sont dans les mains des institutions. «Il est urgent d’intégrer politiquement certaines revendications. Il faut sortir de la culture du déni, cette propension à ne pas admettre certains problèmes dûs au racisme. Il faut renforcer le partenariat entre les institutions et la société. Cela rétablira la confiance entre la police et ceux qui ne se sentent plus en sécurité.» Pour les mamans Nadia et Silvia aussi, le dialogue est primordial. «Pourquoi la police ne viendrait-elle pas dans les classes pour faire de la prévention?» 
L’espoir pour avancer 
«Dans ce moment de tristesse et de douleur, nous voulons compatir et donner de l’amour à la famille de Marvin. Parce que l’espérance, la foi et l’amour demeurent en toi, Seigneur.» Les paroles résonnent dans la salle bondée. La famille, les amis, tout un quartier est venu se recueillir la semaine passée au centre socioculturel de Prélaz et à l’église catholique. Ceux qui ne sont pas assis dans la salle sont dehors, et le parc et la rue ne désemplissent pas. Sur la scène de la salle de paroisse, une photo de Marvin trône. Quelques chants sont repris en chœur. C’est Solange, la tante de Marvin, et toute la famille qui ont organisé les soirées de recueillement, avec l’aide de plusieurs jeunes. «Les gens sont bouleversés», admet-elle en sortant. «En temps normal, ils se seraient levés, auraient tapé dans les mains.» Parmi toutes ses émotions à elle, se trouve surtout la colère. «La mort de Marvin n’est pas normale. Nous ne sommes pas convaincus de ce que la police a pu dire à ce propos. On veut que les jeunes soient écoutés, que la police dialogue avec eux, au lieu de les pourchasser comme des criminels. Avec tout ce qu’on entend, c’est normal d’avoir peur de se faire arrêter par la police, et de fuir. Il n’y a plus de confiance.» Avant de promettre: «Nous, on veut que la vérité sorte. On ne lâchera rien.» Mais au-delà de la souffrance, ce soir-là, un message revient en boucle à travers toutes les interventions, celui de l’espérance. Pour Solange, c’est elle qui lui permet d’avancer. «Il faut donner de l’espoir, de l’amour, sinon on est rien.» 

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