Des neurones humains pour révolutionner l’IA

Rédigé par
Laurent Grabet
Vaud

INNOVATION • La start-up FinalSpark, fondée en 2014 par deux docteurs en mathématiques appliquées de l’EPFL, s’échine à mettre au point le premier bio-processeur jamais vu. Explications.

«L’Europe et la Suisse ont loupé le coche de l’espace et de l’IA… J’espère que l’histoire ne va pas se répéter!» Fred Jordan a le sens de la formule. FinalSpark, la start-up de six employés qu’il a fondée en 2014 à Vevey avec son camarade alémanique Martin Kutter s’est promis de sortir sur le marché, à destination du grand public, un «bio-processeur vivant» dans les 12 années à venir. Ce docteur en mathématiques appliqués de 57 ans, formé à l’EPFL, est en train d’essayer de lever 50 millions de francs d’investissement auprès de fonds souverains étrangers, pour financer son étonnant projet. «Et dans un second round, nous en aurons besoin de 300 supplémentaires», prévient déjà cet entrepreneur qui voit loin et en grand.
À la base, l’ambition des deux anciens doctorants de l’EPFL était plutôt vague. Ils voulaient «simplement» révolutionner le monde de l’intelligence artificielle. Leurs premiers tests se font avec des neurones artificiels digitaux, tels qu’on en trouve aujourd’hui dans les 90% des IA. Le problème est qu’en faire tourner une centaine seulement consommait déjà 3 Kilowatts d’électricité. Or, à titre de comparaison, un cerveau humain, disposant de 100 milliards de neurones, ne requiert que 20 watts…
Des airs de science-fiction
Inspiré par le fameux Blue Brain Project de l’EPFL, les deux ingénieurs décident alors voici cinq ans de remettre l’ouvrage sur le métier, mais avec de véritables neurones. «Personne n’y avait pensé à l’époque, à part nos auteurs favoris de science-fiction eux. Cette idée nous a immédiatement habité.» confesse Fred Jordan. Grosso modo, FinalSpark transforme des «cellules souches humaines pluripotentes induites» en cellules neuronales. Ces cellules sont ensuite connectées les unes avec les autres. Elles forment ainsi un réseau, ressemblant à «une boule» de 0.5 à 3 mm, et à la durée de vie maximale de quatre mois, dans laquelle l’équipe de FinalSpark implante des électrodes, permettant de communiquer avec chaque neurone.
C’est d’ailleurs précisément ce que font à distance actuellement les chercheurs d’une dizaine d’universités du monde. «Cela fait d’ores et déjà de nos neurones des outils de recherche fonctionnels, lesquels auront été mentionnés dans une vingtaine de publications scientifiques rien qu’en 2025, se réjouit Fred Jordan. Certains de ces chercheurs ont ainsi par exemple réussi à établir comment ces neurones étaient connectés, simplement en leur envoyant quantité de stimulations et en analysant leurs réponses en retour.»
Des questions éthiques
Nombre des quidams, à qui nous avons présenté le projet dans le cadre de la rédaction du présent article, ont été mal à l’aise. «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme», la célèbre citation de Rabelais, synthétise à merveille leurs points de vue. Mais qu’en pense le principal concerné? Fred Jordan réalise bien que son innovation, si elle se concrétisait, poserait des questions d’ordre éthique. Mais le scientifique est d’avis que «ces questions sont surtout l’apanage des spécialistes et que le sujet n’est pas tant l’innovation elle-même, que la vitesse à laquelle elle finira peut-être par s’imposer dans nos quotidiens…»
Actuellement, Fred Jordan et Martin Kutter financent leur start-up avec les bénéfices générés par leur première entreprise. Basée également à Vevey, AlpVision, elle, est rentable. Elle propose en effet depuis 2003 à des grandes entreprises une application permettant de détecter les contrefaçons de leurs produits. «Nous sécurisons ainsi pour 30 milliards de produits par an», estime le duo. FinalSpark, de son côté, sécurise ses trouvailles par une habile stratégie de brevets. Car outre le financement, l’autre grand défi de son projet est de rester en tête sur une «technologie totalement disruptive d’avenir, laquelle commence à aiguiser des appétits en Australie comme aux États-unis notamment…»

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