Caroline Dayer, ou les multiples facettes d’une (com)battante

Rédigé par
Laurent Grabet
Vaud

PORTRAIT • Caroline Dayer est chargée de la prévention et du traitement de l’homophobie et de la transphobie dans les lieux de formation vaudois. Cet engagement prend sa source dans son parcours de chercheuse et de formatrice. Rencontre.
Caroline Dayer avance vers nous la main tendue et souriante. On devine une femme forte, fière et positive. Une femme qui a eu son lot de souffrances aussi. Attablés côte à côte à la manière de deux Britanniques élégants devisant face au Léman qu’elle aime tant, sur la terrasse du château d’Ouchy, l’experte de 46 ans nous donne l’occasion de voir ce qu’il en est. 
Celle qui, depuis 2020, est déléguée cantonale aux questions d’homophobie et de transphobie dans les lieux de formation à l’État de Vaud joue franc jeu avec pudeur mais sans fausse pudeur. Tout commence à 1234 mètres d’altitude au fond d’une des majestueuses vallées latérales du Valais à Hérémence. Là, les montagnes peuvent libérer les âmes comme enfermer les esprits. La famille Dayer, incarne plutôt la première option. Elle cultive l’ouverture tout simplement dans le concret. Le papa, décédé voici 15 ans, était entrepreneur dans le génie civil et la maman secrétaire. 
Très tôt indignée par les injustices
Le couple a un fils aîné et ne fait aucune différence de traitement entre lui et Caroline, son énergique cadette de 4 ans. «Enfant, je jouais volontiers au foot ce qui m’a valu plus tard d’évoluer jusqu’en ligue B et je grimpais aux arbres avec les garçons, ce qui n’a jamais été un problème ou un motif d’inquiétude. Mes parents pratiquaient une éducation égalitaire et ce n’est qu’à la préadolescence que j’ai réalisé que c’était une sorte d’exception par exemple dans les bistrots du village où je ne voyais presque que des hommes parler politique entre eux…»
La jeune Caroline est très interpellée par les injustices. Déjà aussi, elle aime réfléchir et chercher. Pas pour la beauté du geste. Mais pour comprendre le monde afin de pouvoir agir. À 17 ans, un tsunami amoureux chamboule sa vie. Et une jeune femme en est le déclencheur... Ce «décalage» que l’adolescente sentait en elle depuis l’enfance avait donc un nom. Et un nom, trop souvent moqué et rabaissé, et donc synonyme de honte, de mal être et de culpabilité: homosexualité. «Cette découverte a été une révélation et une libération mais en même temps, elle est terrifiante. J’ai vécu plusieurs années “dans le placard” et dans cet intervalle, je me disais que je serai moi-même une fois expatriée pour l’université…» Ce silence, en forme de «modalité de survie», est éprouvant mais constitue aussi une expérience fondatrice de solidarité valant probablement tous les masters du monde. L’organisation d’une première «Pride» controversée à Sion en 2001 marque un autre tournant dans la vie de Caroline Dayer. Celui de l’incontournable, difficile et si redouté «coming out» familial, au-dessus duquel plane souvent le spectre angoissant du rejet. 
Si Caroline Dayer n’a pas à porter un masque auprès de sa famille de cœur, ce n’est pas le cas dans son village d’origine. «La question récurrente “est-ce que tu as un copain?’’ me pesait. Avec ma compagne de l’époque, on se tenait la main en rentrant dans le train à Genève où j’ai vécu 20 ans et on devait se la lâcher une fois arrivées en Valais… À titre personnel, l’enjeu était simplement d’être moi-même avec tout le monde et de ne plus devoir mentir tout le temps.» 
Experte et ancrée
Une pleine page publicitaire, fustigeant la Pride, et publiée dans Le Nouvelliste est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. «Suite à ce déferlement de haine, je ne pouvais plus cacher qui j’étais à mes parents et à mon frère, dont le soutien a été et reste très précieux.»
En 2005, la votation sur le partenariat enregistré, entérine un nouveau tournant. Celui de l’engagement collectif. Après de brillantes études en sciences sociales et de l’éducation, Caroline Dayer officie comme enseignante et chercheuse à l’Université de Genève, où elle obtiendra son doctorat, avant de faire un séjour scientifique à Paris. Elle a 27 ans et est de mieux en mieux alignée avec elle-même. «Ma compagne et moi avions témoigné en tant que couple dans Le Nouvelliste à l’occasion de cette campagne, ce qui n’allait pas du tout de soi. Nous vivions sans avoir les mêmes droits que les autres, ce qui était fondamentalement discriminatoire», se souvient la quadragénaire. Laquelle est aujourd’hui mariée à Jenn avec qui elle vit à Lausanne. 
Une situation qui n’évolue  pas positivement
Côté travail, ses ancrages scientifiques forgent une posture professionnelle qui tient tout particulièrement compte des différentes réalités et des besoins du terrain. «Et ces derniers temps, la situation n’est pas franchement réjouissante. Les agressions verbales ou physiques contre les personnes LGBTIQ sont en nette augmentation, notamment en raison de la hausse des incitations à la haine. Le taux de tentatives de suicide chez les jeunes homos reste jusqu’à cinq fois plus élevé que chez les jeunes hétéros...» 
Sur ces questions, l’universitaire et formatrice est d’avis qu’il y a un gros travail de prévention à abattre et s’y attelle avec une détermination sans faille auprès du personnel des écoles notamment. «Ne pas parler de ces thématiques revient à empêcher les personnes d’être elles-mêmes, dit-elle. Or mon objectif est que chaque individu puisse y parvenir.» 
Son dernier livre, sorti en mars dernier aux éditions de l’Aube, «Le silence tue, Face aux violences: comment (ré)agir», en témoigne.

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