Le long voyage d’une famille lausannoise 
se conclut par un livre plein de poésie

Rédigé par
Thomas Lécuyer
Société

JEUNESSE • Ysée, huit ans, et son papa Matthias, sont partis un an sur les routes d’Europe du Sud, accompagnés de Dora, la maman illustratrice, et de la grande sœur Célestine. La famille lausannoise a ramené un joli carnet de voyage dessiné qui retrace quelques-unes des belles découvertes et rencontres faites tout au long de cet itinéraire méditerranéen. Interview à huit mains. 

Lausanne Cités: Comment est née cette idée de voyage sur les routes d’Europe du  Sud autour de la Méditerranée? 
Dora: On a fait un tour du monde il y a onze ans, à l’époque on n’avait pas d’enfants. Un  premier livre est né de ce voyage (Curry, kiwis et caïpirinha, éditions Hélice Hélas), qui a  lancé ma carrière d’illustratrice. Lors de ce tour du monde, on a loué un van en Nouvelle Zélande pendant un mois. On s’est dit que le jour où on aurait des enfants, on referait ça:  partir tous ensemble en camping-car.
Matthias: Il y a aussi eu le confinement qui nous a beaucoup rapprochés parce qu’on était  tous les quatre tout le temps ensemble. On était dans cette petite bulle qui nous a très bien convenu. Ça nous a convaincu de tenter l’aventure de partir un an ensemble sur les routes  dans un véhicule.

Pourquoi le choix de cette destination, cette odyssée entre Occident et Orient?  
Matthias: Cela faisait longtemps que je rêvais de découvrir les Balkans. On a très vite été d’accord pour cet itinéraire le long de la mer Adriatique, qui suivait un petit peu l’arrivée de l’hiver en descendant vers le Sud, qui nous emmenait en Grèce, puis jusqu’en Turquie.  
Ysée: Pour choisir notre route, on allait souvent au hasard. Une fois, j’ai  dessiné une série de flèches tout droit, à gauche, à droite, et puis on a suivi ça. On s’est  retrouvés dans un village complètement perdu et on a rencontré un monsieur qui nous a accueillis pour la nuit dans son jardin et qui nous a  donné quatre kilos de farine le lendemain!  

Ysée, tu as toujours été d’accord de partir faire ce grand voyage en famille?  
Ysée: Même si je savais que je n’allais pas voir mes copains pendant un long moment, je  me disais que c’était cool de faire un voyage. On faisait l’école dans le camping-car, j’ai  adoré l’école en voyage! Rien qu’en voyageant on apprend déjà plein de trucs! Donc on  n’avait pas besoin de faire autant d’école qu’à l’école …  
Matthias: Tu te souviens, on apprenait les couleurs en allemand avec des  M&M’s!
 
Ça c’est une vraie méthode de pédagogie alternative! Et l’idée de faire un livre,  elle est née en même temps que l’idée de ce voyage?  
Matthias: L’idée est venue alors que le voyage était déjà bien entamé, en  Grèce en visitant les Météores. Tu veux raconter la suite, Ysée?  
Ysée: On se tenait la main et on était en train de se dire «ta petite  main est toute froide et la tienne toute chaude». Au bout d’un moment, j’ai posé une  question: «Est-ce qu’un jour, moi aussi j’aurai une petite main dans ma grande main?». 
Matthias: C’est une question qui m’a ému parce que ça peut paraître anodin, mais en fait ça  met en perspective toute l’humanité et ses successions de générations. Le fait que ma fille,  un jour, devienne peut-être maman, que moi avant elle j’ai été la petite main de mes parents… l’idée, finalement, que l’humanité est une succession de petites mains dans des grandes mains. On a eu envie de raconter ce constat très simple, mais universel.  

C’est vrai que le récit est universel, et empreint d’ouverture vers les autres…  
Dora: C’était très important pour nous que «Petite Main et Grande Main» puisse représenter  ce que chacun et chacune veut bien y voir. N’importe qui doit pouvoir se dire, «je suis Petite Main, je suis Grande Main». Ça peut être un papa et son fils, une maman et sa fille, un  grand-père et sa petite-fille…

On découvre plein de jolies choses au cœur de votre livre, comme la pétanque  slovène, les sources chaudes d’Albanie, les komboloï et begleri grecs, les différents  types de pains européens… Quelle a été votre plus jolie découverte?  
Matthias: Dans le livre, on n’a mis que celles qui sont en lien avec les mains… 
Ysée: Par exemple, les brioches qui se mangent avec des glaces en Sicile.
Dora: Une des découvertes, c’était ces machines qui font trembler les feuilles d’oliviers pour faire tomber les olives, mais on l’a mise dans le livre aussi.  
Matthias: Il y a une double page qui parle de tous les types de pain qu’on a trouvé au cours  de notre voyage. Je suis très sensible à ça: mon frère est boulanger et mon père fait aussi du pain. Le pain, c’est universel et ça nous a permis de très jolies rencontres.  

Une anecdote inoubliable qui n’est pas dans le livre?  
Matthias: Il y a tellement de souvenirs!  
Ysée: Une fois, en Turquie, on a rencontré un boulanger qui nous a invité à son fournil, il y  avait plein d’amis à lui pour faire des focaccias et manger du pain durant toute la journée. 
Dora: A un moment donné, le boulanger arrive vers la grande table où nous étions installés, pose le pain  rond encore fumant et dit: «Voilà, servez-vous.» Je lui explique alors qu’en français «copain»  ça veut dire «qui partage le même pain.» Et j’ai vu un truc passer dans son regard. Le soir même, j’ai vite pyrogravé (oui, on avait un pyrograveur avec nous) une petite  planchette qu’on avait acheté au marché, j’ai dessiné une baguette, j’ai écrit «copain» et je lui ai offert la planchette. Depuis, à Fethiye en Turquie, il y a une boulangerie qui s’appelle «Copain Old School Bakery».  

Les dessins de l’album sont absolument magnifiques. Quelles ont été les techniques utilisées?
Dora: J’ai tout fait avec des Neocolor. C’est très amusant car ce sont des techniques que l’on utilise déjà à l’école enfantine. Lorsque nous avons fait le vernissage, il y avait des maîtresses d’enfantine qui étaient présentes et je les entendais dire que cela ne devait pas être exactement les mêmes. Mais si si, ce sont les mêmes, j’utilise simplement des N°2, qui sont aquarellables, à la place des N°1. Cela donne des couleurs absolument merveilleuses. Quand le livre est sorti en France, nous nous sommes rendus compte qu’il s’agissait d’une technique très helvétique, très peu connue ailleurs, même par les illustrateurs et illustratrices dont c’est le métier.

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