Affaire Marc Porchet: une addition beaucoup plus lourde qu’annoncé

Rédigé par
Philippe Kottelat
Lausanne

GÂCHIS • Pour le syndic de Lausanne, l’affaire Porchet n’a coûté «que» quelque 475’000 francs à la collectivité publique. Selon notre enquête, on semble pourtant bien loin du compte. D’autres coûts, notamment de justice, s’y ajoutent alors que des procédures civiles sont en cours.

«Les conséquences humaines, éthiques et financières de l’affaire “Beaulieu”, devenue “Marc Porchet”, soulèvent des questions importantes. Les coûts engagés par la Ville de Lausanne ont été conséquents et inconnus de ce Conseil à ce jour. Les suites probables en matière de justice civile soulèvent de nouvelles questions importantes, et aux conséquences financières non négligeables». 
Ces quelques lignes constituent le préambule d’une interpellation  déposée le 3 avril dernier par le conseiller communal PLR Olivier Bloch. Ce dernier souhaitait sonder le bien-fondé de la dénonciation initiale, qualifiée de détournement de fonds, lancée contre Marc Porchet, l’ancien secrétaire général de Beaulieu, et cherchait à connaître le montant de l’ardoise financière liée à cette affaire.
La réponse du syndic
Combien a-t-elle coûté, sinon à la Ville de Lausanne, plus généralement à la collectivité publique? À cette question, le syndic Grégoire Junod a apporté des réponses par écrit, précisant que la somme s’élevait à quelque  475’000 francs. Compris dans celle-ci, les frais de défense de Marc Porchet, plus de 260’000 francs, et une indemnité de 5000 francs pour tort moral. S’y ajoute une somme d’un peu plus de 15’000 francs, représentant la moitié des frais de procédure d’appel. Il a fallu aussi payer l’avocat de Beaulieu SA, soit 168’000 francs, et 26’000 francs au liquidateur de la société. Ces chiffres sont exacts, mais ils ne sont que la pointe de l’iceberg, car ils ne tiennent pas compte de toute une série de frais annexes qui concernent directement le travail judicaire lié à cette affaire, ainsi que les importants dommages et intérêts que des personnes, à commencer par Marc Porchet, et des entreprises lésées vont réclamer.
Ainsi, concernant le procès lui-même, il convient de ne pas oublier de comptabiliser tous les frais de procédure qui doivent être ajoutés à la moitié de ceux engagés en procédure d’appel. Soit, notamment, les coûts liés à l’expertise demandée par la Chambre des recours lors du report du procès - 16 personnes différentes ont travaillé sur le sujet durant 13 mois. Comme le coût du travail, durant 2 à 3 ans, d’Yvan Gilliard, procureur spécial sur l’ensemble de l’enquête, ou encore le coût de la Cour de Nyon en première instance. L’État de Vaud refuse pour l’heure de communiquer ces chiffres. En l’état, et selon des experts que nous avons consultés, on peut toutefois estimer ces différentes activités à une somme oscillant entre 400’000 et 500’000 francs. 
Des entreprises prétéritées
S’ajoutent à cela les pertes financières causées à différentes personnes et entreprises, des sous-traitants indépendants, œuvrant directement avec le Secrétaire général pour maintenir à flot le paquebot Beaulieu qui prenait l’eau de toutes parts. C’est, notamment, le cas de l’un des derniers mandataires permanents de la Fondation, spécialisé dans l’organisation de projets et assistance à maîtrise d’ouvrage. «Du jour au lendemain, on nous a considérés comme des pestiférés», se souvient-il. «C’était juste avant les fêtes de Noël 2017, j’étais à l’étranger quand mon assistante m’a appelé pour m’apprendre que des perquisitions étaient en cours dans mon entreprise à l’instant même où elle me parlait. Des documents ont été saisis et nos comptes ont même été bloqués dans la foulée. En moins de 48 heures, après dix ans d’engagement sans faille et de remerciements pour la qualité du travail accompli, nous devenions ipso facto complice du secrétaire général.» 
«Un choc», dit-il, en pensant aussi à Marc Porchet dont il affirme, aujourd’hui encore, qu’il n’a jamais vu dans sa carrière un homme aussi «investi, intègre et rigoureux» que lui. Plus de sept ans après les faits, et alors qu’on lui a dit que «tant que l’affaire n’est pas jugée, on ne paie pas», il sort de son silence aujourd’hui pour demander des comptes. «Plus le temps passe, plus ce sera cher». Aucun chiffre précis n’est articulé, mais il confirme que ce sera beaucoup d’argent. 
Le prix de la calomnie
Et puis, il y a Marc Porchet lui-même, qui va aussi «exiger une réparation du préjudice et de la calomnie» dont il a été l’objet. Car au-delà de son honneur, l’homme a tout perdu. Du jour au lendemain, les activités de son entreprise se sont arrêtées. Il a dû payer une trentaine de collaborateurs dans le vide, avant de les licencier, et tous les fournisseurs qui travaillaient à ses côtés. 
«J’ai dû emprunter quelque 700’000 francs à des proches pour que tout le monde soit réglé jusqu’au dernier centime», tient-il à préciser. Et puis il y a eu le manque à gagner. «Au lieu de travailler et de cotiser pour ma retraite, j’ai dû utiliser la totalité de l’argent que j’avais dans mon entreprise pour me défendre. Pendant sept ans, je n’ai fait pratiquement que cela». Lui non plus ne veut pas articuler de chiffres précis, mais souligne tout de même que l’ardoise représentera des millions de francs.
La procédure civile a débuté à la fin janvier de cette année et devrait se poursuivre jusqu’à l’automne. La Municipalité de Lausanne, par son syndic, a estimé qu’il faudra privilégier des arrangements à l’amiable pour éviter d’autres procédures. Autrement dit sans repasser par la case justice. En sera-t-il ainsi? La réponse demeure pour l’heure en suspens. Dans tous les cas, la facture finale de cette affaire inédite, qui constitue l’une des plus importantes sagas politico-financières que le Canton de Vaud a connues, va sans doute se monter à plusieurs millions de francs.

 

Blanchi après sept ans de procédure

Lors d’une conférence de presse convoquée en urgence, le 21 décembre 2017, l’État de Vaud, par sa présidente Nuria Gorrite, et la Ville de Lausanne, par son syndic Grégoire Junod, qui avait repris la présidence du Conseil de fondation de Beaulieu, annoncent que de «potentiels agissements répréhensibles» étaient survenus dans la gestion de ce site historique. Un nom est alors livré en pâture à la presse: celui de Marc Porchet, secrétaire général de l’institution. Il est accusé de détournement de fonds et un chiffre est avancé: 27 millions! À l’origine de cette accusation, un audit commandé par la Ville de Lausanne, qui se révélera très vite infondé. Mais peu importe pour ses accusateurs, qui pensent alors tenir le coupable idéal. S’en sont suivis sept ans de combats judiciaires et plusieurs décisions de justice, au terme desquels Marc Porchet est ressorti totalement blanchi.

 

Le syndic contre-attaque

Lausanne Cités: Vous avez estimé les coûts de l’affaire Porchet à quelque 475’000 francs. Ce chiffre ne tient pas compte de tous les frais de justice qu’elle a générés, comme ceux de la procédure civile qui est en cours…
Grégoire Junod: Ça n’a aucun sens d’ajouter les dépenses de fonctionnement de la justice aux frais qui ont été consentis par la Fondation de Beaulieu. Sauf à considérer que la justice ne doit jamais être saisie! Ce sont des dépenses qui incombent à l’État dans toutes les procédures judiciaires. Il arrive parfois qu’elles soient mises à la charge du plaignant lors d’une procédure jugée abusive ou téméraire, ce qui n’a jamais été reproché à la Fondation de Beaulieu dans la présente affaire. Marc Porchet a été blanchi de toute infraction pénale, il faut le reconnaître pleinement. Mais le tribunal n’a jamais considéré que la dénonciation était abusive.

Vous réfutez tout animosité à son égard?
La décision de déposer une dénonciation pénale à la fin de l’année 2017 a été prise par le Conseil de Fondation de Beaulieu qui n’avait guère d’autre choix sur la base des éléments connus à l’époque et de l’avis des services juridiques du Canton de Vaud et de la Ville de Lausanne. Il n’y avait aucune animosité.

Il y avait en tous cas des indices notoires qui auraient pu vous pousser à stopper plus vite cette procédure…
Vous avez envie d’en faire une affaire personnelle, mais cela ne correspond pas à la réalité. Toutes les parties, aussi bien le ministère public que Marc Porchet et la Fondation ont fait recours contre le premier jugement du tribunal. Il est faux de dire que la Fondation aurait tout fait pour prolonger la procédure.

Marc Porchet n’a jamais détourné d’argent. Alors ces 27 millions, où sont-ils passés?
La dénonciation pénale portait sur plusieurs points dont des soupçons de surfacturation. Il n’a jamais été dit que 27 millions étaient partis en fumée, même si les médias l’ont écrit plusieurs fois…

La justice a clairement pointé du doigt une gouvernance plus qu’aléatoire à Beaulieu…
La gouvernance de Beaulieu était déficiente, c’est évident. C’est aussi la raison de la création de Beaulieu SA avec un nouveau mode de gouvernance et des responsabilités clarifiées. Nous avons d’ailleurs bouclé les comptes dans les chiffres noirs pour la troisième année consécutive.

Votre sentiment personnel à ce stade de l’affaire?
C’est compliqué pour moi de vous donner un avis personnel, car le volet civil de l’affaire n’est pas bouclé. Mais il faut évidemment reconnaître que le tribunal a innocenté Marc Porchet et que la durée de la procédure, mais ce n’est pas propre à ce procès, a forcément été préjudiciable pour le prévenu.

 

Le syndic contre-attaque

Lausanne Cités: Vous avez estimé les coûts de l’affaire Porchet à quelque 475’000 francs. Ce chiffre ne tient pas compte de tous les frais de justice qu’elle a générés, comme ceux de la procédure civile qui est en cours…
Grégoire Junod: Ça n’a aucun sens d’ajouter les dépenses de fonctionnement de la justice aux frais qui ont été consentis par la Fondation de Beaulieu. Sauf à considérer que la justice ne doit jamais être saisie! Ce sont des dépenses qui incombent à l’État dans toutes les procédures judiciaires. Il arrive parfois qu’elles soient mises à la charge du plaignant lors d’une procédure jugée abusive ou téméraire, ce qui n’a jamais été reproché à la Fondation de Beaulieu dans la présente affaire. Marc Porchet a été blanchi de toute infraction pénale, il faut le reconnaître pleinement. Mais le tribunal n’a jamais considéré que la dénonciation était abusive.

Vous réfutez tout animosité à son égard?
La décision de déposer une dénonciation pénale à la fin de l’année 2017 a été prise par le Conseil de Fondation de Beaulieu qui n’avait guère d’autre choix sur la base des éléments connus à l’époque et de l’avis des services juridiques du Canton de Vaud et de la Ville de Lausanne. Il n’y avait aucune animosité.

Il y avait en tous cas des indices notoires qui auraient pu vous pousser à stopper plus vite cette procédure…
Vous avez envie d’en faire une affaire personnelle, mais cela ne correspond pas à la réalité. Toutes les parties, aussi bien le ministère public que Marc Porchet et la Fondation ont fait recours contre le premier jugement du tribunal. Il est faux de dire que la Fondation aurait tout fait pour prolonger la procédure.

Marc Porchet n’a jamais détourné d’argent. Alors ces 27 millions, où sont-ils passés?
La dénonciation pénale portait sur plusieurs points dont des soupçons de surfacturation. Il n’a jamais été dit que 27 millions étaient partis en fumée, même si les médias l’ont écrit plusieurs fois…

La justice a clairement pointé du doigt une gouvernance plus qu’aléatoire à Beaulieu…
La gouvernance de Beaulieu était déficiente, c’est évident. C’est aussi la raison de la création de Beaulieu SA avec un nouveau mode de gouvernance et des responsabilités clarifiées. Nous avons d’ailleurs bouclé les comptes dans les chiffres noirs pour la troisième année consécutive.

Votre sentiment personnel à ce stade de l’affaire?
C’est compliqué pour moi de vous donner un avis personnel, car le volet civil de l’affaire n’est pas bouclé. Mais il faut évidemment reconnaître que le tribunal a innocenté Marc Porchet et que la durée de la procédure, mais ce n’est pas propre à ce procès, a forcément été préjudiciable pour le prévenu.

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