
GÂCHIS • Pour le syndic de Lausanne, l’affaire Porchet n’a coûté «que» quelque 475’000 francs à la collectivité publique. Selon notre enquête, on semble pourtant bien loin du compte. D’autres coûts, notamment de justice, s’y ajoutent alors que des procédures civiles sont en cours.
«Les conséquences humaines, éthiques et financières de l’affaire “Beaulieu”, devenue “Marc Porchet”, soulèvent des questions importantes. Les coûts engagés par la Ville de Lausanne ont été conséquents et inconnus de ce Conseil à ce jour. Les suites probables en matière de justice civile soulèvent de nouvelles questions importantes, et aux conséquences financières non négligeables».
Ces quelques lignes constituent le préambule d’une interpellation déposée le 3 avril dernier par le conseiller communal PLR Olivier Bloch. Ce dernier souhaitait sonder le bien-fondé de la dénonciation initiale, qualifiée de détournement de fonds, lancée contre Marc Porchet, l’ancien secrétaire général de Beaulieu, et cherchait à connaître le montant de l’ardoise financière liée à cette affaire.
La réponse du syndic
Combien a-t-elle coûté, sinon à la Ville de Lausanne, plus généralement à la collectivité publique? À cette question, le syndic Grégoire Junod a apporté des réponses par écrit, précisant que la somme s’élevait à quelque 475’000 francs. Compris dans celle-ci, les frais de défense de Marc Porchet, plus de 260’000 francs, et une indemnité de 5000 francs pour tort moral. S’y ajoute une somme d’un peu plus de 15’000 francs, représentant la moitié des frais de procédure d’appel. Il a fallu aussi payer l’avocat de Beaulieu SA, soit 168’000 francs, et 26’000 francs au liquidateur de la société. Ces chiffres sont exacts, mais ils ne sont que la pointe de l’iceberg, car ils ne tiennent pas compte de toute une série de frais annexes qui concernent directement le travail judicaire lié à cette affaire, ainsi que les importants dommages et intérêts que des personnes, à commencer par Marc Porchet, et des entreprises lésées vont réclamer.
Ainsi, concernant le procès lui-même, il convient de ne pas oublier de comptabiliser tous les frais de procédure qui doivent être ajoutés à la moitié de ceux engagés en procédure d’appel. Soit, notamment, les coûts liés à l’expertise demandée par la Chambre des recours lors du report du procès - 16 personnes différentes ont travaillé sur le sujet durant 13 mois. Comme le coût du travail, durant 2 à 3 ans, d’Yvan Gilliard, procureur spécial sur l’ensemble de l’enquête, ou encore le coût de la Cour de Nyon en première instance. L’État de Vaud refuse pour l’heure de communiquer ces chiffres. En l’état, et selon des experts que nous avons consultés, on peut toutefois estimer ces différentes activités à une somme oscillant entre 400’000 et 500’000 francs.
Des entreprises prétéritées
S’ajoutent à cela les pertes financières causées à différentes personnes et entreprises, des sous-traitants indépendants, œuvrant directement avec le Secrétaire général pour maintenir à flot le paquebot Beaulieu qui prenait l’eau de toutes parts. C’est, notamment, le cas de l’un des derniers mandataires permanents de la Fondation, spécialisé dans l’organisation de projets et assistance à maîtrise d’ouvrage. «Du jour au lendemain, on nous a considérés comme des pestiférés», se souvient-il. «C’était juste avant les fêtes de Noël 2017, j’étais à l’étranger quand mon assistante m’a appelé pour m’apprendre que des perquisitions étaient en cours dans mon entreprise à l’instant même où elle me parlait. Des documents ont été saisis et nos comptes ont même été bloqués dans la foulée. En moins de 48 heures, après dix ans d’engagement sans faille et de remerciements pour la qualité du travail accompli, nous devenions ipso facto complice du secrétaire général.»
«Un choc», dit-il, en pensant aussi à Marc Porchet dont il affirme, aujourd’hui encore, qu’il n’a jamais vu dans sa carrière un homme aussi «investi, intègre et rigoureux» que lui. Plus de sept ans après les faits, et alors qu’on lui a dit que «tant que l’affaire n’est pas jugée, on ne paie pas», il sort de son silence aujourd’hui pour demander des comptes. «Plus le temps passe, plus ce sera cher». Aucun chiffre précis n’est articulé, mais il confirme que ce sera beaucoup d’argent.
Le prix de la calomnie
Et puis, il y a Marc Porchet lui-même, qui va aussi «exiger une réparation du préjudice et de la calomnie» dont il a été l’objet. Car au-delà de son honneur, l’homme a tout perdu. Du jour au lendemain, les activités de son entreprise se sont arrêtées. Il a dû payer une trentaine de collaborateurs dans le vide, avant de les licencier, et tous les fournisseurs qui travaillaient à ses côtés.
«J’ai dû emprunter quelque 700’000 francs à des proches pour que tout le monde soit réglé jusqu’au dernier centime», tient-il à préciser. Et puis il y a eu le manque à gagner. «Au lieu de travailler et de cotiser pour ma retraite, j’ai dû utiliser la totalité de l’argent que j’avais dans mon entreprise pour me défendre. Pendant sept ans, je n’ai fait pratiquement que cela». Lui non plus ne veut pas articuler de chiffres précis, mais souligne tout de même que l’ardoise représentera des millions de francs.
La procédure civile a débuté à la fin janvier de cette année et devrait se poursuivre jusqu’à l’automne. La Municipalité de Lausanne, par son syndic, a estimé qu’il faudra privilégier des arrangements à l’amiable pour éviter d’autres procédures. Autrement dit sans repasser par la case justice. En sera-t-il ainsi? La réponse demeure pour l’heure en suspens. Dans tous les cas, la facture finale de cette affaire inédite, qui constitue l’une des plus importantes sagas politico-financières que le Canton de Vaud a connues, va sans doute se monter à plusieurs millions de francs.