La cathédrale de Lausanne est-elle assez protégée face au risque d’incendie?

Rédigé par
Fabio Bonavita
Lausanne

SÉCURITÉ • Alors que la cathédrale de Lausanne fêtera son 750e anniversaire le 20 octobre prochain, des voix s’élèvent pour dénoncer ses lacunes sécuritaires. Cambriolages récents et risques d’incendie, évoquant celui qui a détruit la flèche de Notre-Dame de Paris en 2019, soulignent la vulnérabilité de ce monument gothique. Enquête.      

C’est une information connue de seulement quelques initiés. Dans la nuit du 11 au 12 août dernier, la salle capitulaire de la cathédrale de Lausanne ainsi que le bureau de la pasteure Line Dépraz ont été cambriolés. Après avoir brisé une vitre, le ou les malfrats sont repartis avec un maigre butin comme le confirme Michel Gandillon, porte-parole de la police  lausannoise: «De la nourriture et un appareil électroménager ont été volés». 
À l’heure où ces lignes sont écrites, personne n’a encore été interpellé. Ce qui ne surprend pas René Bugnion, ancien membre de la direction de l’EPFL et désormais retraité, passionné par la sécurité de l’édifice qui domine la capitale vaudoise: «Comment voulez-vous que la police puisse appréhender ces voleurs? Il n’y a aucune installation de vidéosurveillance autour et dans la cathédrale. On y entre comme dans un moulin, de jour comme de nuit. C’est irresponsable, surtout quand on sait que les édifices religieux sont devenus des cibles. La collégiale de Neuchâtel a été taguée en août dernier et les attaques contre les monuments se multiplient partout dans le monde.» 
Prévenir l’imprévisible
Ce passionné de l’Évangile, croyant convaincu, nourrit une autre crainte: un incendie, similaire à celui de 1825, lorsque la foudre avait embrasé la flèche de la cathédrale de Lausanne. Un scénario qui rappelle inévitablement l’incendie de Notre-Dame de Paris en avril 2019, dont la flèche s’est effondrée après quinze heures de feu, provoquant une émotion mondiale. «Nos élus considèrent la cathédrale comme une simple salle polyvalente, alors qu’il s’agit du diadème de l’art gothique qui doit être protégé, se désole René Bugnion. Ce qui est arrivé à Notre-Dame de Paris pourrait parfaitement se produire ici. Nous n’y sommes pas préparés.» 
Une inquiétude partagée par François Mercanton, président du Mouvement pour la défense de Lausanne (MDL): «Les lacunes sécuritaires sont évidentes. En effet, l’accès pour les pompiers est compliqué, et les systèmes de détection restent insuffisants. Il n’y a ni caméras thermiques, ni détecteurs de mouvement. Les arrivées d’eau existent, mais doivent être activées manuellement. En cas de gros incendie, les pompiers ne pourraient pas intervenir, ce serait trop dangereux.» Pour alerter les autorités, René Bugnion a multiplié les démarches. Allant jusqu’à commander un rapport à l’ancien attaché de défense Bruno Carpaneto. Document que nous nous sommes procurés et qui rappelle que «la proportion des incendies affectant des édifices religieux en Europe est en constante augmentation, notamment en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne». La suite ne se montre guère plus rassurante: «Le feu, pouvant être en tout temps causé par un incident ou résultant d’un acte criminel, est la principale menace contre les cathédrales.» 
Menace désormais prise au sérieux par nos voisins français puisqu’ils ont, suite aux incendies de la cathédrale de Nantes en 2018 et de Paris en 2019, édicté un plan «Sécurité cathédrales». 
Ce plan impose notamment l’installation généralisée de caméras thermiques et de dispositifs coupe-feu, la suppression des installations à risque (antennes de radiotéléphonie, chauffages d’appoint ou encore éclairages installés sur l’édifice), une surveillance humaine permanente ainsi qu’une télésurveillance  24h/24. 
Qu’en est-il de la cathédrale de Lausanne? «Elle est équipée d’une détection incendie qui permet d’alarmer les pompiers dès le départ d’un feu, précise Alain Brasey, chef de la police du feu lausannoise. Il n’y a pas de système de brumisation ni de caméras thermiques. En raison de la configuration architecturale du bâtiment, il n’existe pas de coupe-feu au sens strict des normes actuelles, à l’exception d’un nouveau local technique  au sous-sol.» 
En ce qui concerne la surveillance, Pascal van Griethuysen, délégué aux affaires religieuses du Canton et président de la commission d’utilisation de la cathédrale, nous éclaire: «La cathédrale ne dispose actuellement pas de système de vidéosurveillance. Une analyse est en cours en vue d’identifier les mesures à prendre pour renforcer la sécurité du bâtiment, des usagers et des visiteurs. Il faut relever que jusqu’à présent, nous n’avons eu que peu de problèmes.» 
Équipements validés
Pour en avoir le cœur net, nous sollicitons également Yves Golay-Fleurdelys, président de la Commission technique de la cathédrale. Ce dernier nous propose une rencontre sur site afin de nous détailler l’ensemble des mesures prises ces dernières années. «Le Canton de Vaud a anticipé les enjeux de sécurité incendie de la cathédrale de Lausanne bien avant l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019, tient-il à rassurer. Un audit complet a en effet été mené dès 2017.» 
Quelles mesures ont été prises suite à cet audit? «L’installation électrique a été entièrement rénovée, les éléments obsolètes supprimés et les détecteurs de fumée modernisés et multipliés. En cas de déclenchement, un dispositif d’alarme informe immédiatement les pompiers, qui peuvent intervenir sans délai, tandis qu’un signal sonore ordonne l’évacuation des personnes présentes. Les colonnes sèches ont été expertisées et le chauffage d’appoint du guet, jugé potentiellement risqué, sera remplacé. S’agissant de la vidéosurveillance, une réflexion est en cours et un expert a été mandaté à la fin septembre. Pour le reste, les spécialistes, les pompiers et l’ECA estiment que la cathédrale bénéficie d’un haut niveau de protection. Dans ce contexte, il n’y a pas lieu d’ajouter des équipements supplémentaires qui entraîneraient des dépenses injustifiées: les installations actuelles, réceptionnées le 16 septembre sans réserve, garantissent une sécurité optimale tout en préservant une gestion responsable des deniers publics.» Avant de conclure mi-amusé, mi-dépité: «Je préside cette commission depuis 2010 et j’ai suivi les interventions de René Bugnion et François Mercanton. Ce qui peut surprendre, c’est que ni l’un ni l’autre n’ont jugé utile de solliciter un échange avec la commission technique.» Au-delà des guerres de clochers, notre enquête montre que des mesures concrètes ont bel et bien été prises pour renforcer la sécurité de la cathédrale. Mais l’édifice lausannois reste moins équipé que ses voisins, notamment en France. Seul l’avenir permettra de savoir si ce niveau de protection suffira face aux menaces d’incendie ou d’intrusion. 

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