Faut-il se fier à l’étude d’Unisanté 
sur la dioxine à Lausanne?

Lausanne

SANTÉ • Malade, un médecin lausannois remet en question l’étude d’Unisanté menée sur les risques liés à la consommation de produits contaminés par la dioxine. Lausanne Cités a rencontré le principal auteur de cette étude.

En 2020, les Lausannois découvraient effarés qu’une grande partie de leur sol était contaminé par  la dioxine, une substance très dangereuse pour la santé. La cause de cette pollution? Les émanations de l’ancienne usine d’incinération d’ordures ménagères du Vallon, en fonction de 1958 à 2005, soit durant plus de quatre décennies. Le 21 août dernier, Unisanté publiait les résultats d’une étude d’imprégnation aux dioxines avec à la clé un titre clair: «pas de différence marquante entre les populations exposées ou non à la pollution aux dioxines de la région lausannoise». Pour univoque qu’il soit, ce constat n’a pas rassuré nombre de Lausannois, inquiets pour leur santé comme en attestent les nombreux témoignages publiés sur les réseaux sociaux.  

C’est aussi le cas de Bruno Barthélémy, un médecin non praticien âgé de 74 ans et qui depuis 34 ans vit dans sa maison du Vallon, à 300 mètres à peine de l’ancienne usine de traitements de déchets. Souffrant aujourd’hui d’un cancer, plus précisément un lymphome non hodgkinien, il fait part de ses inquiétudes: «J’ai fait partie des personnes qui ont participé à l’étude et mon épouse et moi-même avions des taux sanguins de dioxine très supérieurs aux moyennes enregistrées explique-t-il. Certes, nous ne saurons jamais si c’est la dioxine qui est à l’origine du cancer dont je souffre, mais j’ai de sérieux doutes quand je compare les résultats de l’étude lausannoise avec celle qui a été menée à Besançon, une ville de taille similaire à Lausanne et elle aussi exposée aux déchets d’une usine d’incinération». 

Et d’avertir: «A mon sens, l’étude pratiquée par Unisanté présente de très nombreux biais et les autorités minimisent la situation car elles sont désemparées face à cette situation».
Afin d’en avoir le cœur net, Lausanne Cités a rencontré le Pr David Vernez, principal auteur de l’étude menée par Unisanté (lire l’interview ci-contre).  

«Il n’y a pas de risque supplémentaire lié à la consommation»

Lausanne Cités:«Il semble que», «en l’état actuel des connaissances»... Il y a beaucoup de précautions de langage dans votre étude, ce n’est pas très rassurant… 
Pr David Vernez, chef du Département Santé et Environnement, Unisanté: Notre étude analyse la situation telle qu’elle est actuellement et n’apporte rien sur les effets qu’a pu avoir l’exposition à la dioxine il y a 30 ans, d’où ces précautions de langage. Ce qu’elle montre avec certitude en revanche, c’est que la contamination actuelle des sols à la dioxine n’augmente pas davantage les risques associés aux polluants environnementaux et à la dioxine.

L’absence d’une augmentation significative du taux de dioxine dans le sang des personnes testées suffit-elle à exclure tout risque sanitaire?
La réponse est non car on ne peut pas affirmer que les dioxines n’ont pas d’effet dans les taux mesurés actuellement en population générale. Notre étude montre simplement que l’imprégnation des sols lausannois par la dioxine a une contribution modeste sur les taux sanguins des personnes qui vivent dans le bassin concerné et qui consomment des aliments contaminés. Elle montre que chez eux, cette concentration est légèrement plus élevée que chez les personnes qui n’ont pas consommé d’aliments dans la même zone, mais sans que cette concentration ne dépasse les valeurs habituellement rencontrées dans d’autres villes.  

L’échantillon utilisé par l’étude comprend uniquement 100 personnes. C’est fort peu…
Cette étude n’est pas une étude de cohorte et ne visait pas à découvrir de nouveaux effets de la dioxine sur la santé des gens, effets qui sont très bien documentés et de longue date. Elle cherchait à savoir s’il fallait adapter les mesures préventives en se concentrant sur les deux aliments susceptibles de contaminer les gens lorsqu’ils les mangent: les œufs et les cucurbitacées. Pour une telle comparaison, la taille de l’échantillon était suffisante.

Pourquoi ne pas avoir sélectionné un groupe témoin de personnes à l’intérieur de la zone d’imprégnation plutôt qu’à l’extérieur? 
Aujourd’hui, la seule voie d’exposition à la dioxine est l’ingestion d’aliments contaminés. Le principe de l’étude est de procéder à une comparaison entre les populations qui consomment les aliments incriminés et celles qui n’en consomment pas, dans le même environnement pour comparer ce qui est comparable. Encore une fois, le but de l’étude n’est pas de savoir si la dioxine est toxique ou pas, ce qui a déjà fait l’objet de nombreuses études, si la population est d’une manière générale exposée ou pas, mais bel et bien de savoir si la population qui consomme des produits dans la zone contaminée présente un risque supplémentaire par rapport aux autres. Et la réponse est claire: si vous habitez dans la zone concernée et consommez des aliments contaminés, vous ne présentez pas de risque supplémentaire par rapport à la population qui n’en consomme pas.

Pourquoi ne pas procéder à une analyse du registre des cancers pour savoir si on n’observe pas une augmentation des cas dans la zone?
Il est peu probable qu’une telle recherche donne des résultats utilisables. Il n’y aura vraisemblablement pas de différence dès lors que les taux sanguins ne sont pas fondamentalement différents. Si une différence est tout de même perceptible, il ne sera pas possible de savoir à quel polluant l’attribuer. Je comprends que la population souhaite des réponses individuelles à des questions du type: «la dioxine est-elle responsable chez moi de telle ou telle maladie?», mais il est pour l’instant impossible d’y répondre et notre recherche de nature statistique et épidémiologique ne vise pas à le faire.

Les enfants sont exclus de l’étude. N’est-ce pas une lacune? 
Effectivement nous n’avons pas investigué les enfants pour des raisons éthiques. Les adultes sont ici les témoins de la consommation alimentaire familiale. Si la consommation alimentaire usuelle domine l’exposition chez l’adulte, il n’y a pas de raison qu’elle le soit chez les enfants.

On affirme que l’imprégnation des sols par la dioxine n’induit pas de risque supplémentaire tout en préconisant la décontamination de ces mêmes sols. N’est-ce pas paradoxal?
En effet, je conçois que cela puisse paraître illisible à la population. Cette situation résulte du fait que la décontamination des sols est une contrainte réglementaire fédérale qui n’est pas liée aux conditions sanitaires spécifiques du bassin lausannois.

Selon vous, des études supplémentaires sont-elles nécessaires?
Sur la situation de la dioxine dans la région lausannoise nous sommes désormais bien renseignés et nous avons une juste appréciation de la situation. A mon sens, ce qui serait plus pertinent serait d’une manière plus générale, d’étendre les recherches à d’autres polluants. 

Des substances toxiques

Les dioxines sont le résultat de procédés industriels, en particulier l’incinération des déchets. Dispersées dans l’atmosphère, elles imprègnent durablement les sols en retombant, s’insérant ensuite dans la chaîne alimentaire pour s’accumuler au final dans les tissus graisseux des animaux et des humains. Selon la quantité accumulée dans le corps, elles peuvent générer de nombreuses pathologies allant de troubles de la fertilité chez les hommes à des cancers en passant par des malformations fœtales, etc. De nombreuses études ont mis en évidence l’aspect cancérigène de certaines dioxines, avec un risque plus élevé de présenter un lymphome non hodgkinien. A Besançon où se trouvait également une usine d’incinération des déchets, une étude publiée en 2009 a montré que le risque de développer ce type de lymphome était 2,3 fois plus élevé.

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