VIOLENCE • Une étude lausannoise de la Haute Ecole de la Santé La Source (HES-SO) et du senior-lab met en lumière la problématique de la violence de couple chez les seniors. Ce travail a débouché sur une campagne nationale de sensibilisation qui s’étale jusqu’à fin 2024. Le point sur ce problème mal connu avec la professeure Delphine Roulet Schwab, présidente du réseau Gérontologie.ch et du Centre de compétence national «Vieillesse sans violence».
Lausanne Cités: Pourquoi avoir initié cette étude?
Delphine Roulet Schwab: Les statistiques montraient que les plus de 64 ans sollicitaient très peu les aides disponibles en cas de violence de couple. Cela donnait l’impression qu’elles étaient pas ou moins concernées ce que nos expériences de terrain semblaient contredire. Pour comprendre, nous avons mené 86 entretiens, une quarantaine avec des professionnels du vieillissement et des violences domestiques dans cinq cantons suisses et une quarantaine avec des personnes âgées, dont d’anciennes victimes seniors.
Pourquoi les aînés concernés ont-ils tant de mal à demander de l’aide?
Certaines victimes vivent isolées. D’autres ont demandé de l’aide il y a bien longtemps mais sans avoir été entendues. Certaines femmes - car ce sont elles très majoritairement les victimes - ont vécu longtemps selon des normes générationnelles qui toléraient la violence. Dans certains cas, ces violences s’étalent sur des décennies et ont mené à une résignation. Il y a parfois une difficulté à se reconnaître victime, mais aussi une peur des conséquences: crainte d’un divorce, de devoir déménager, de faire éclater la famille, de susciter les commérages ou les représailles, d’être placé en EMS ou sous curatelle. Et puis, les aides existantes ne sont pas toujours pensées pour des personnes âgées, qui ne maîtrisent par exemple pas forcément internet, ou bien ces aides nécessitent de se déplacer. Dans les centres d’accueil d’urgence par exemple, il faut être indépendant dans sa vie quotidienne ce qui exclut de fait nombre de seniors.
Quelle est la nature de ces violences?
Il y a les violences verbales et psychiques, dont le contrôle coercitif qui fait qu’un conjoint contrôle tous les aspects de la vie de l’autre: relations, finances ou encore activités… Il y a aussi des violences physiques voire sexuelles qui s’accompagnent toujours de violences psychologiques. Les problèmes liés au vieillissement, comme une mobilité réduite ou une dépendance pour les activités de la vie quotidienne, se surajoutent à la violence et compliquent l’accès à l’aide.
Le passage à la retraite est un moment clé. Pourquoi?
Les couples passent plus de temps ensemble. La fin d’une activité professionnelle valorisante et chronophage est souvent vécue comme une perte identitaire, financière, de statut et de reconnaissance sociale, surtout pour les hommes. Cela génère de la frustration qui peut se reporter sur la conjointe. Des violences déjà présentes peuvent alors se renforcer et des violences latentes se déployer.
Des hommes sont-ils aussi parfois victimes de violence de la part de leur épouse?
C’était le cas d’un quart de nos témoins. Pour eux, c’est d’autant plus difficile d’en parler et de chercher de l’aide. Etre victime de violence au sein de leur couple ne correspond pas vraiment à l’image de l’homme fort avec laquelle ils se sont construits. Et dans les faits, ils ne sont pas forcément crus.
Les proches des victimes ne représentent souvent pas une aide dans ce genre de situation. Pourquoi?
Car, surtout s’il s’agit des enfants, ils sont souvent pris dans un véritable conflit de loyauté. Parfois, ils ont été témoins de violence pendant leur enfance. Parfois même, ils sont dans le déni, voire prennent le parti de l’agresseur. Dans la réalité, les victimes qui ont réussi à trouver de l’aide se sont généralement tournées dans un premier temps vers une personne de confiance de leur entourage, laquelle les a aidées à prendre mieux conscience de la situation et les a orientées vers de l’aide professionnelle.
Quelle aide conseillez-vous?
Le Centre de compétence nationale «Vieillesse sans violence» est joignable gratuitement au 0848 00 13 13 ou sur info@vieillessesansviolence.ch dans les trois langues nationales. Il peut être sollicité anonymement et sans engagement. La personne y reçoit des conseils et des informations sur ses possibilités d’action. Au final, c’est elle qui décide en connaissance de cause. En cas d’urgence vitale et immédiate, il faut appeler le 117 ou le 144.
Un message clé pour finir?
Il n’est jamais trop tard pour demander de l’aide. Des petites actions peuvent véritablement faire la différence pour retrouver du pouvoir d’agir sur une situation problématique. Il ne s’agit pas forcément de tout changer radicalement. Les proches peuvent tenter d’ouvrir le dialogue par exemple en demandant simplement: «comment ça se passe à la maison?». Les professionnels doivent être attentifs à ces situations et proposer une aide adaptée à chaque cas, en respectant les souhaits et le rythme de la personne.