Un promoteur vaudois sous le feu des critiques

Rédigé par
Frédéric Nejad Toulami
Vaud

CONSTRUCTION • Salaires impayés, travaux bâclés, fournisseurs et petits propriétaires lésés. Enquête sur plusieurs chantiers genevois en main d’un maître d’ouvrage vaudois aux pratiques décriées. 

«C’est du grand n’importe quoi! Cet entrepreneur ne payait pas certains salaires ou certaines charges sociales obligatoires à ses employés engagés sur des chantiers. C’est pourquoi notre syndicat a été appelé à l’aide.» Responsable au secteur construction d’UNIA, Pietro Carrobio ne mâche pas ses mots. En ligne de mire, un individu à la tête d’une dizaine de sociétés actives dans le secteur immobilier romand. 
Et selon divers témoignages recueillis dans le canton de Genève, les litiges sur des chantiers non terminés ou mal exécutés se sont accumulés. «Il s’agit d’un système que l’on dénonce depuis longtemps mais la loi suisse, laxiste en la matière, tolère cela», regrette Pietro Carrobio.
Des propriétaires, mais aussi des fournisseurs lésés
Quant à un ancien employé qui réclame des salaires, il nous jure que pour rien au monde il ne travaillera de nouveau pour cet entrepreneur. Associé à son frère, l’homme incriminé loue ses bureaux en zone industrielle de Crissier. 
La justice vaudoise a officiellement déclaré en faillite en juillet 2024 une de ses sociétés anonymes inscrite au Registre du commerce. Le juge a rejeté ses diverses requêtes, puis une mise en liquidation aurait dû suivre mais tout est suspendu en raison d’un recours déposé au Tribunal cantonal. Cette entreprise était engagée dans des chantiers d’immeubles à Genève, dont un à Pregny-Chambésy. Un des copropriétaires mécontents explique par exemple avoir payé des plus-values pour l’installation d’une cuisine ou de carrelage. Pourtant, les fournisseurs n’ont jamais reçu l’argent pour cela. D’où de forts soupçons que cet argent versé en avance ait été utilisé ailleurs pour autre chose.  
Cette situation fait écho à d’autres récriminations que des copropriétaires genevois lésés, ainsi que des sous-traitants, portent contre l’homme d’affaires. Après enquête, nous avons recensé une dizaine de chantiers genevois où cela s’est mal passé: à Veyrier, à Cartigny, à Carouge, à Pregny-Chambesy, au Grand-Saconnex. Cela représente des dizaines de propriétaires (dont des familles), de maîtres d’ouvrage et de sous-traitants mécontents et prétérités. 
Le promoteur se défend
Joint par téléphone, l’administrateur vaudois pointé du doigt n’admet que des problèmes rencontrés à Pregny-Chambésy. Selon lui, ils ne sont dus qu’à la mise en faillite de sa société qu’il conteste en justice. Lui, qui a tenté en 2001 d’être élu dans la commune d’Ecublens, estime même être la personne lésée dans cette affaire: «Ces copropriétaires me doivent un million de francs pour les travaux et les installations déjà effectués. Je leur ai proposé de poursuivre le chantier avec une autre de mes sociétés mais ils ont refusé.» Il conteste radicalement être impliqué ailleurs à Genève. Puis il prétend être souffrant pour mettre fin à l’entretien. 
Après avoir tenté de l’appeler quelques jours plus tard, puis être allé dans ses bureaux à Crissier, c’est son avocat qui finit par nous contacter. Il confirme qu’un recours a été déposé à la Cour cantonale des poursuites et faillites contre la décision, suspendue, de faillite et mise en liquidation. 
Il réitère enfin les dénégations de son client quant à une implication dans d’autres chantiers genevois.  Et pourtant… Nous nous sommes procurés des documents qui prouvent l’inverse. Comme le courrier recommandé d’une célèbre société vaudoise active dans l’immobilier, qui était alors mandatée par l’entrepreneur  incriminé. 
Banques pointées du doigt
Datée de 2022, elle liste un nombre élevé de fautes et de manquements graves répétés sur trois chantiers genevois qui n’ont toujours pas été résolus. Elle parle même de situation «invraisemblable et intolérable». Après cela, ce sous-traitant a préféré cesser de collaborer avec l’administrateur mis sur le grill. 
Tout aussi troublant, nous avons rencontré dans les locaux à Crissier, un de ses collaborateurs qui n’a pas démenti les dossiers litigieux dans diverses communes genevoises, mais nous a invités à nous adresser au patron qui gère seul cela. Nous avons enfin vu des photos d’un chantier d’une commune contestée où une bâche des travaux indiquait en grand le nom de l’entreprise générale de construction, désormais mise en faillite.
«Si je dénonce cet homme, c’est pour protéger de futurs acquéreurs qui seraient tentés de faire affaire avec lui», explique un copropriétaire d’un bien à Pregny-Chambésy (GE). Lui et un autre lésé s’interrogent aussi sur le sérieux des vérifications censées être menées par des banques connues qui ont validé le choix d’un tel promoteur immobilier et prêté de l’argent.

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