
EXCLUSIF • Les agissements de la Direction générale de l'enfance et de la jeunesse sont régulièrement questionnés par la presse et les parents concernés. Deux ex-assistantes sociales de ce service de l’Etat dénoncent ses «dysfonctionnements».
La parole se libère autour de la Direction générale de l'enfance et de la jeunesse. Marie* et Rita* cumulent plus de 20 ans d’activité au sein de ce service de l’Etat, riche de 300 collaborateurs. Ces assistantes sociales (ASPM) s’affranchissent du secret de fonction, s’exposant à des poursuites judiciaires, «pour l’intérêt supérieur des enfants et que les dysfonctionnements cessent enfin!» Cela fait des années que la DGEJ est sous le feu de la critique. Ce fut le cas en 2018 lorsque le rapport Rouiller révélait ses graves dysfonctionnements qui avaient permis à un père d’abuser de ses huit enfants. Ce scandale avait valu à l’ex SPJ d’être rebaptisé DGEJ. Sa direction avait alors été reprise par Manon Schick. Ce fut encore le cas en mai lorsque 24heures signait une enquête fouillée sur deux enfants, placés dans un foyer loin de leur mère, laquelle avait dénoncé de possibles abus sur eux. Et c’est encore le cas dans l’affaire «Bénédicte», ce bébé enlevé à sa mère peu après sa naissance au CHUV en mai 2023.
Lausanne Cités:Vous dites que «la DGEJ fait de l’abattage». En quoi?
Rita: Dans les offices régionaux pour la protection des mineurs, beaucoup d’assistantes sociales sont en charge de 70 à 80 «situations» contre une soixantaine officiellement et ne peuvent donc y consacrer que deux heures par mois. Il est où le respect de l’enfant? A l’interne, c’est vu comme de «l’abattage».
Marie: Respecter notre cahier des charges en allant voir régulièremment les familles est impossible. Chaque mois, on passe au mieux 1h30 avec chacune. Il y a un gros tournus. Plus de la moitié de certaines équipes a démissionné depuis 2023!
Rita: Les RH en recrutent d’autres et ça recommence… La plupart des assistantes sociales subissent, cherchent un poste ailleurs ou serrent les dents.
Cette surcharge de travail implique de longues listes d’attente, lesquelles péjorent les situations…
Rita: A la DGEJ, la plupart des dossiers sensibles mettent six à douze mois avant d’être traités et en attendant le père ne voit pas son enfant. Alors qu’il faudrait faire rapidement une première lecture de situation pour voir s’il y a possibilité de rétablir le contact.
Marie: Et dans les structures proposant des visites médiatisées entre le parent-visiteur et son enfant, et/ou dans le cadre d’un travail autour de la coparentalité, telles que les Boréales ou Point Rencontre, l’attente est parfois d’un an! J’ai vu des «mères-gardiennes», elles-mêmes, désemparées par ces lenteurs…
Les jeunes assistants sociaux sont-ils véritablement outillés pour pouvoir faire face à des cas aussi difficiles?
Rita: A peine diplômés, les jeunes assistants sociaux se voient confier des situations avec garde et droit de visite. Avant, il fallait cinq ans d’expérience pour cela…
Marie: Ils sont mal armés pour affronter les réalités de terrain. Alors ils se protègent, au lieu d’admettre qu’ils ne sont pas à la hauteur.
Rita: Les enfants ne devaient pas être vus seulement au domicile du «parent gardien». C’est primordial pour avoir une vue juste de la situation mais c’est loin d’être systématique. Et lorsqu’il y a un dossier pénal, il n’y a pas d’obligation de le consulter!
Selon vous, «ne pas faire de vagues» serait le mot d’ordre de la DGEJ…
Rita: Protéger le service et fermer les dossiers rapidement sont les priorités. On nous pousse à ne pas «remuer la merde» pour éviter d’avoir plus de problèmes... En réunion, on parle souvent plus des conditions de travail que des enfants. Les hiérarchies font mine de s’intéresser mais réprimandent. On n’est pas soutenus.
Marie: Avec Madame Schick, l’accent a été mis sur les aspects administratifs, comme le journal de bord qui est un moyen de dire: «on a fait notre travail!». Moi, je préfère consacrer mon temps aux enfants… Deux collègues qui privilégiaient justement «trop» le terrain se sont même fait licencier!
Comment les personnes chargées de ces situations familiales délicates font face à titre personnel?
Rita: Autant parmi les assistants sociaux que parmi les juges de paix, chargés de juger ces affaires, il y a peu, voire pas d’empathie et parfois même un certain «je m’en foutisme»… Si ces personnes étaient privées de leurs propres enfants, elles verraient les choses autrement!
Marie: Pourtant, se mettre dans la réalité de l’autre puis être capable d’en sortir est une qualité indispensable pour bien gérer ce type de situations et ses dossiers et être capable de remettre en cause son postulat de départ plutôt que de chercher par tous les moyens à le confirmer…
Vous dénoncez un «parti pris pro-mères» et une «instrumentalisation de la victimisation», de quoi s’agit-il?
Rita: Les assistantes sociales sont trop souvent pro-mères. Et le «parent visiteur», qui est généralement le père n’est souvent pas consulté. Et s’il est accusé du pire à tort et innocenté, ce n’est pas pour autant qu’il peut revoir ses enfants. Notons aussi que le «parent gardien» n’est presque jamais condamné pour diffamation. Nombre de mères se sont convaincues qu’elles sont victimes. Certaines surfent sur «me too» et sur la hausse des féminicides. Un jour, on ne croira plus les véritables victimes!
Marie: Je suis atterrée par ces dérives pseudo féministes. Si une mère accuse le père de violences ou, et c’est là l’arme fatale, d’abus sexuels, c’est parole d’évangile et la machine se met en branle. Si un père dit la même chose, c’est un pervers narcissique manipulateur. La DGEJ oublie que la violence s’exerce aussi psychologiquement et que les femmes ne sont pas les seules à en être victimes.
Rita: Les véritables victimes de graves violences n’ont plus l’énergie psychique d’accabler l’autre parent… Bien sûr qu’il y a des pères violents mais il n’y a de loin pas que ça! On sent chez certaines mères la volonté farouche d’effacer le père de la vie de leur gamin.
Marie: C’est une violence énorme faite à l’enfant et qui a de lourdes conséquences sur le reste de sa vie…
En miroir, les pères seraient selon vous «maltraités» par la DGEJ. En quoi?
Rita: Bien souvent, le père ne sera pas entendu au même niveau que la mère. S’il a le malheur de s’énerver face à l’injustice, cela renforce le préjugé qu’il est le problème. Les expertises pédopsy sont souvent biaisées car basées sur le postulat qu’il est dangereux. L’obligation de tout tenter pour rétablir une relation père-enfant apaisée est rarement respectée. Et au final, on attend benoitement que l’enfant se sente prêt à revoir son père. Or, cela n’arrive pas ou bien plus tard car il est si facile, mais si destructeur, pour le parent-gardien de conditionner son enfant…
Marie: Si la «mère-gardienne» n’amène pas son enfant au Point Rencontre, elle n’est pas sanctionnée. Si le père ne vient pas, il y a suspension de ses visites!
Que dire des rapports justice– DGEJ?
Rita: La justice suit les rapports de la DGEJ dans 99% des cas. Les juges font confiance aux professionnels et ont peur de ne pas donner suite à leurs propositions.
Marie: Les collègues sont peu formés sur la systémie familiale ou aux techniques d’entretien. Cette lacune, couplée aux a priori de genre, débouche sur des rapports biaisés que la justice croit professionnels et de bonne foi...
Début 2024, une pétition demandant qu’un organe de contrôle et de surveillance indépendant de la DGEJ soit mis sur pied. Que vous inspire ce texte récemment classé par le Grand Conseil?
Marie: Il demandait aussi que tous les entretiens entre les familles impliquées et la DGEJ soient enregistrés. Cela se fait dans d’autres pays. Tout cela devient urgent pour s’extirper enfin de cet entre-soi!
Rita: Un double regard sur ces situations conflictuelles manque cruellement...
Comment voyez-vous l’avenir?
Rita: Les souffrances profondes nées de la mauvaise gestion de certains dossiers font des dégâts sur plusieurs générations! Les pères sont à bout mais on a l’impression qu’il faudra un nouveau drame pour tout remettre à plat!
Marie: Un enfant a droit à ses deux parents. Notre Canton bafoue la Convention relative aux droits de l'enfant de l’ONU!
Propos recueillis par Laurent Grabet
*Prénoms d’emprunt