
À deux pas du lac, sur la place Bellerive, va s’élever dès novembre une immense structure blanche. Ce n’est ni un chapiteau de cirque, ni une salle de concert, ni une halle sportive, ni un Luna Park, mais bel et bien un théâtre : le Pavillon Naftule, créé en 2024 et devenu dès sa conception un lieu incontournable de l’humour en Suisse romande.
Derrière cette aventure hors norme, le producteur Sébastien Corthésy, soutenu par “ses” artistes de Jokers Comedy. « Le Pavillon, c’est une initiative entièrement privée, née d’un double besoin : offrir un toit à la Revue de Lausanne après la fermeture du Théâtre des Terreaux, et combler un vide dans l’offre culturelle de la ville : à Lausanne, il n’existe pas de salle intermédiaire pour l’humour entre Boulimie (120 places) et la Salle Métropole (1200 places), pourtant nécessaire pour bon nombre d’artistes », explique-t-il.
Une salle unique pour un public populaire
Avec ses 450 places modulables, le Pavillon accueille chaque saison une vingtaine de créations originales : outre la Revue de Lausanne, one-man-shows, comédies musicales, spectacles familiaux et soirées d’impro s’enchaînent tout au long d’une saison courte mais riche. C’est ainsi un des principaux lieux de création de nouveaux spectacles à Lausanne, paradoxalement peu soutenu par le Service Culturel de la Ville. En 2024, plus de 33’000 spectateurs ont franchi ses portes. « Cette année, nous visons les 50’000 entrées, non pas par folie des grandeurs, mais parce qu’un projet comme le nôtre coûte des millions », souligne Corthésy.
Le budget annuel avoisine en effet 5 millions de francs, financés à plus de 99 % par des fonds privés et par la billetterie. « Moins de 1 % provient de subventions publiques. C’est un paradoxe : nous sommes l’un des lieux culturels de Lausanne qui attire le plus de spectateurs, mais sommes également l’un des moins soutenus », regrette l’initiateur.
Entre hommage et nécessité
Le Pavillon est aussi né d’un hommage. Lorsque Pierre Naftule disparaît en 2019, ses proches collaborateurs cherchent un moyen de perpétuer son esprit. « Créer un espace vivant, festif et populaire était la meilleure façon de lui rendre justice », raconte Corthésy. La mission est claire : défendre l’humour comme une composante essentielle de la culture lausannoise, offrir un terrain de jeu aux artistes du cru, comme Nathanaël Rochat, Thomas Wiesel ou Blaise Bersinger, et fidéliser un public qui n’a pas toujours l’habitude de fréquenter les théâtres traditionnels. « Notre objectif n’est pas de concurrencer Boulimie ou Vidy, mais de proposer des spectacles qui n’auraient pas pu exister ailleurs », précise-t-il.
L’ambition du Pavillon Naftule est de hisser haut l’étendard de l’humour comme art populaire, souvent moins soutenu que d’autres disciplines plus académiques, comme la danse, le théâtre ou l’opéra, en se positionnant comme un des principaux lieux de création humoristique en Suisse romande.
Un avenir encore fragile
Le succès public ne suffit pas encore à assurer la pérennité du lieu. Le Pavillon reste fragile, tributaire de la météo, des aléas administratifs et du soutien financier de ses fondateurs. « Depuis sa création en 2024, il reste déficitaire, malgré un immense succès public. « Il nous manque environ 100’000 francs pour équilibrer le budget. Cela peut paraître beaucoup, mais à l’échelle du budget annuel d’un théâtre, ce n’est pas énorme. Nous espérons à terme une reconnaissance officielle de la Ville et du Canton. Pas pour remplacer les subventions existantes, mais pour entrer dans une logique de complémentarité entre lieux privés et institutions publiques », plaide Corthésy.
La perspective des prochaines élections municipales changera-t-elle la donne ? En attendant, l’équipe continue d’innover : outre le cru 2025 de La Revue, soirées « Mamma Mia » festives, comédies musicales inédites, «Roméo et Juliette » revisité avec Joseph Gorgoni, et même un «Titanic improvisé » où le public décide du destin des personnages. L’humour est un art populaire qui a besoin de lieux à la hauteur de son succès. Le Pavillon Naftule est là pour ça : éphémère, mais essentiel.