Portrait: Guillaume Hersperger, au bonheur des notes

Rédigé par
Thomas Lécuyer
Société

MUSIQUE • Professeur, pianiste et passionné: trois piliers pour définir la personnalité discrète et lumineuse de Guillaume Hersperger, celui qui a cofondé le Week-End Musical de Pully et qui gère la direction artistique de Lavaux Classic. Rencontre avec un quadra qui a la tête sur les épaules, mais une tête bien remplie de notes et de rêves.

Comme certains Gaulois avec la potion magique, Guillaume Hersperger, pianiste suisse bien né à Lausanne et non en Armorique, est tombé dans la potion musique quand il était petit. Et lui aussi en tire une  force hors-du-commun, à déplacer des montagnes, ou à déménager des pianos! «En fait, mon milieu familial n’était pas musical. Ma mère a fait un peu de piano par le biais de l’école normale parce qu’elle est institutrice, mon papa jouait un peu à ses heures perdues, mais était surtout mélomane. Ils nous ont ouvert des portes, je dis «nous» parce qu’on est quatre enfants dans la famille, laissé essayer plein de choses, et c’est la musique qui a le mieux marché. Nous sommes deux à en avoir fait notre métier. J’ai un frère baryton.»
Des gammes et des arpèges
Vers trois-quatre ans déjà, le petit Guillaume faisait ses gammes et ses arpèges, suivant la méthode Willems plutôt que la méthode Jaques-Dalcroze. «Vu mes talents de danseur, la rythmique musicale façon Dalcroze, ce n’était vraiment pas mon truc», plaisante aujourd’hui Guillaume devenu grand, en sirotant un café à l’Opéra, le bar du Conservatoire de Lausanne. «En fait, c’était déjà ici, dans cette maison, il y a trente-cinq ans. J’ai été élève, étudiant, accompagnateur, professeur, doyen... Et je n’en suis jamais vraiment parti.» Et c’est vrai que Guillaume fait vraiment partie des meubles du Conservatoire, dont il connaît par cœur toute l’histoire, les moindres recoins, et est un des rares à se souvenir du bâtiment historique avant sa rénovation.
D’enfant à adulte, d’élève à professeur, de fils à père, Guillaume voit dans la musique un important moyen de transmission.
«Evidemment, mes enfants sont aussi musiciens, mais attention, ils le font de leur plein gré (rires). C’est tellement constructeur, ça apporte tellement. Je vois ça aussi avec tous les élèves que j’ai. C’est très bénéfique. Je suis vraiment convaincu de l’utilité profonde de l’apprentissage de la musique. Je trouve que ça devrait être obligatoire d’en faire beaucoup.» 
Et le professeur s’enflamme, rêve d’un programme scolaire moins académique et plus musical, qui permettrait aux élèves d’acquérir via les gammes et les arpèges, des outils qui  les aideraient dans bien d’autres matières, et surtout dans le développement de leur personnalité et dans leur vie d’adulte.
Quand la musique (classique) est bonne
La bonne parole selon Saint Solfège, Guillaume Hersperger a vite eu envie de la porter bien en dehors des murs sacrés du Conservatoire. A celles et ceux qui décrètent que la musique classique est une musique de classe, réservée à une élite sociale et culturelle, le cofondateur du WEMP et directeur artistique de Lavaux Classic leur rétorque: «Ils n’ont pas complètement tort, mais il faut créer des passerelles. Avec ces deux festivals, on essaye d’ouvrir au maximum, de partir à la rencontre de nouveaux publics. Le WEMP fait la part belle aux très jeunes talents et on a cette notion d’entrée libre qui fait qu’il n’y a aucune barrière pour la personne qui a envie de tenter le coup et d’aller écouter un concert. A Lavaux Classic, on cherche une notion de convivialité, on permet des rencontres avec des solistes généralement inaccessibles qu’on peut croiser, avec qui on peut échanger un mot, boire un verre, discuter de manière complètement décontractée».
Ne serait-il pas temps en effet d’arrêter de croire qu’il faut se mettre en costard ou en robe de soirée pour aller écouter de la musique classique, ou débourser des centaines de francs pour accéder à des salles dans lesquelles on n’ose pas respirer trop fort? «Quand on voit que la majorité des grands concerts de rock, de pop ou de musique actuelle affichent des billets à plus de 100 francs, on finit par penser que c’est moins cher d’aller à l’opéra. Je crois que dans tous les milieux artistiques, il y a des gens qui se battent pour que cela reste quelque chose de véritablement populaire et d’accessible.» Car la musique classique est sans conteste d’essence populaire, composée à l’origine pour plaire au plus grand nombre, comme un divertissement, ou pour accompagner de grands événements. Beethoven, Bizet, Mozart, Prokofiev, Ravel, ils cherchaient tous LE tube. 
Maurice Ravel, qui affichait publiquement son rejet pour son Boléro, hit dont la notoriété dépassa rapidement celle de son créateur (on se souvient de la blague de Pierre Desproges : «qui a écrit le Boléro de Ravel?»), avouait en secret que ce qui lui mettait le plus de baume au cœur était d’entendre les gamins des rues de Paris siffloter son œuvre, éternelle ritournelle dont une version plus ou moins heureuse est jouée aujourd’hui encore toutes les quinze minutes quelque part dans le monde.
Passage de flambeau
Guillaume Hersperger tempère, avant de revenir à ses deux sujets de prédilection: la pédagogie et la transmission. «Il ne faut pas non plus aller dans l’extrême inverse. Désacraliser, c’est bien, mais après je ne pense pas par exemple que ces télé-crochets qui mettent en lumière des jeunes solistes en leur laissant croire qu’il suffit du conseil bienveillant d’une mégastar pour changer un destin soient très justes ni pertinents. C’est même faux. C’est par le travail, l’apprentissage, la pratique, que vient le talent, même si les prédispositions comptent. C’est pour cela qu’avant même d’organiser des concerts, le projet du WEMP était avant tout pédagogique. J’avais une classe dans une petite école de musique à Pully, et j’avais envie de les sortir un peu de leur quotidien, des cours, des auditions. Je voulais faire des choses à l’extérieur, un peu plus inattendues, originales. Pour cela, il fallait un financement. Le projet est né de cette vocation de transmission, de partage, d’enseignement. Et même maintenant, ça continue ainsi, on invite des gens qui font des carrières de dingues, mais on garde toujours ce lien avec les tout-petits d’ici.» 
Voilà le secret de la potion magique de Guillaume Hersperger. 

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