TENDANCE • Art de se déplacer en sautant par-dessus les obstacles, le parkour a peu à peu gagné toutes les rues de la capitale vaudoise. Retour sur une discipline en plein essor qui attire surtout les jeunes.
Le parkour, discipline à la fois physique et philosophique, a trouvé un foyer vibrant à Lausanne, celui des frères Kevin et Dylan Crupi, fondateurs de la grande famille XTM. Avec une salle de parkour à Sion et une dans la capitale vaudoise, les parcs XTM proposent des initiations à cette activité à mi-chemin entre la gymnastique sportive, le sport extrême et l’art urbain, saupoudrée d’une petite pincée d’art martial. «Si je devais résumer la philosophie du parkour, lance Kevin Crupi, c’est savoir ne jamais être bloqué dans sa course par un obstacle.»
Des gestes uniques
En 2015, un projet ambitieux a été soumis pour créer un «parkour park», accepté et soutenu par la Ville de Lausanne. Depuis son inauguration le 16 juin 2018, cet espace est devenu un hub pour tous les traceurs de la région. Les traceurs, oui, c’est comme cela qu’on appelle les pratiquants du parkour. Contrairement aux sports traditionnels qui recherchent la perfection du mouvement, le parkour valorise l’originalité et l’adaptation individuelle. Ainsi, un simple salto arrière variera d’une personne à l’autre, reflétant leur style et leurs capacités physiques.
Mais à Lausanne, comme ailleurs dans le monde, les débuts de la pratique ont été un peu chaotiques. «Cela a longtemps été mal vu des forces de l’ordre, non pas qu’on fasse quoi que ce soit d’illégal, mais les gens ne comprenaient pas très bien qu’une bande de jeunes squatte au pied des murs de leur maison ou sur le mobilier urbain des places de quartier, et passe des heures à les sauter, à les enjamber, à faire des figures. Le nombre de fois où on s’est fait interpeller par les flics, c’est dingue! Mais on ne s’enfuyait jamais. On s’enfuit quand on a quelque chose à se reprocher.»
Si le parkour existe depuis l’émergence du street art, dont il fait partie aux côtés du hip-hop, du break dance, du skate ou du graffiti, c’est au début des années 90 qu’il apparaît en banlieue parisienne en tant que discipline sportive, sous l’impulsion de David Belle et de son père, un pompier qui enseignait à son fils les rudiments de ce qui allait devenir une nouvelle discipline. David Belle entraînera ensuite une troupe d’adolescents partageant la même passion qui deviendront les célèbres Yamakasi, héros d’un film d’action produit par Luc Besson en 2001. Kevin Crupi temporise le mythe du yamakasi: «On ne passe pas notre temps à sauter d’immeuble en immeuble. Qu’on soit au sol ou en l’air, un saut reste un saut, un salto reste un salto, la hauteur n’a pas d’importance.»
Y’a pas d’âge!
Si le jeune Kevin et le jeune Dylan avaient souvent affaire à la police, c’est aujourd’hui la police qui a parfois affaire à eux. A l’instar de David Belle avec les Sapeurs-Pompiers de Paris ou le GIGN, les frères Crupi ont donné un workshop pour le D.A.R.D (Détachement d’Action Rapide et de Dissuasion) à Lausanne. «On leur a enseigné des techniques utiles en situation d’intervention, montrant ainsi l’utilité pratique du parkour au-delà de la simple performance sportive, pour mieux se mouvoir, mieux jauger les obstacles, mieux se réceptionner. Il y a moins de blessures bêtes.» Le parkour demande une condition physique exceptionnelle et un entraînement rigoureux. Les mouvements doivent être répétés des milliers de fois pour être maîtrisés et, au-delà de l’aspect physique, c’est aussi un exercice mental intense, qui enseigne la connaissance de soi, le respect de son corps, et nécessite une hygiène de vie saine. La dimension mentale est cruciale, car elle permet de surmonter les peurs et les doutes pour accomplir des mouvements difficiles.
Le parkour peut être bénéfique pour tous les âges. Au park lausannois, les enfants sont bienvenus dès 5 ans, et Kevin Crupi aimerait monter un groupe avec des tout-petits de deux ans. «A deux ans, un enfant, c’est un vrai petit ninja, complètement capable de faire du parcours de manière modérée. Il sait grimper, il sait rouler, il sait sauter, il sait tomber. Leur apprendre à maîtriser cela, ça permet d’éviter les petites blessures à la maison, d’acquérir une meilleure maîtrise de leurs corps. C’est ce que font les ergothérapeutes avec la proprioception. C’est exactement ça. On peut très bien faire ça sous forme de jeu, d’escalade, de saut, de course du chat et de la souris avec les parents et les enfants.» Raphaëlle, mère d’un garçon de neuf ans qui pratique le parkour depuis un an, témoigne: «Il adore y aller tous les lundis! C’est un peu un défouloir, mais ça canalise aussi son énergie, ça développe son agilité et sa concentration, ainsi que ses capacités physiques.» Et contrairement aux apparences, ce n’est pas non plus une activité réservée aux jeunes, et certains pratiquants, qui ont passé la quarantaine voire la cinquantaine, gagnent en souplesse articulaire, en assurance, en mobilité, et en agilité musculaire.
De Lausanne à Genève
Bien que le parkour soit une discipline individuelle, la communauté y joue un rôle central. Les pratiquants s’encouragent mutuellement, se poussent à dépasser leurs limites et partagent leurs connaissances. Cette solidarité est particulièrement visible lors des entraînements collectifs, où le soutien mental est essentiel pour réussir des sauts difficiles. La communauté suisse de parkour est active et bien connectée, avec des centaines de pratiquants dans plusieurs villes romandes, dont Lausanne et Genève, qui sont souvent comparées en termes de spots. Dylan Crupi, qui connaît bien les deux villes, les analyse volontiers: «Genève, avec son architecture variée, offre plus de possibilités, mais Lausanne se distingue par ses dénivelés naturels. Chaque ville a ses avantages et ses inconvénients.» Que ce soit à Lausanne ou à Genève, le parkour est bien plus qu’une simple mode: c’est une véritable culture en plein essor, et un élément incontournable de la vie urbaine. Alors, la prochaine fois que vous vous promenez dans les rues, ouvrez l’œil: vous pourriez bien apercevoir un traceur en plein vol, transformant la ville en un terrain de jeu fascinant.