
COMMUNES • Jusqu’au 31 mars dernier, l’avant-projet de révision totale de la loi sur les communes était mis en consultation. Un projet qui n’a pas convaincu tout le monde. Municipal à Villars-Ste-Croix, Frédéric Strittmatter exprime ses doutes. Pour l’élu, la politique vaudoise risque de perdre son âme en devenant une affaire de professionnels.
Lausanne Cités: Que reprochez-vous très concrètement à ce projet de loi?
Frédéric Strittmatter:Je ne conteste pas l’existence même de cette proposition de loi, elle a le mérite d’exister. Seuls quelques points me dérangent. Déjà, c’est une loi de plus. On veut faire un totalitarisme administratif où tout doit être mis dans des cases, des petits carrés, etc. Il n’y a plus de marge de manœuvre. Tout n’est que nuance, finalement, la municipalité d’une commune n’est que l’huile entre les «mécanismes» des professionnels comme les greffiers, chefs de service, et la population.
Quels sont vos autres reproches?
On cherche à «noyer» et minimiser la fonction de syndic au sein de la municipalité. En faire un municipal comme les autres. C’est un grignotage de la démocratie! On commence par ça, et après on ira grignoter d’autres choses. Bientôt, si l’on suit cette loi, il ne pourrait y avoir que des municipaux professionnels. Tout serait alors professionnalisé. Alors, mettons des ordinateurs et des robots, cela effectuera le travail plus vite!
Vous souhaitez également éviter d’ajouter des lois aux lois...
En légiférant trop, on coupe la racine même du volontariat et de l’esprit de milice de la démocratie. Je trouve cela très regrettable. On veut tout, tout, tout régenter, mettre des protections partout. Nous sommes environ 300 communes dans le Canton de Vaud. Nous avons l’impression que les organes étatiques voudraient faire quatre districts avec chacun dix communes. On pense aux incidents qui ne sont pas encore arrivés pour s’en protéger. Laissons les gens vivre! Il faut continuer à faire régner une certaine harmonie au sein des municipalités.
Vous dites que le projet de loi veut mieux former les élus. Pourquoi ça ne serait pas une bonne idée?
Du moment que vous serez un professionnel, vous ne serez plus élu par le peuple. Vous signez un contrat. Et puis on va vous «bourrer le crâne» de façon artificielle, il n’y aura plus d’élan naturel, de spontanéité. Vous serez un fonctionnaire sur lequel l’Etat peut avoir une force d’action. Nous recevons déjà une formation.
Laquelle?
Sur base du volontariat, il existe des cours pour nous expliquer les rouages de la fonction. Je les ai suivis, je les ai grandement appréciés. Si j’obtiens à nouveau la faveur des urnes, je suivrais ces cours à nouveau. Par contre, qu’il faille «passer une maturité fédérale ou une licence en municipalité» pour exercer cette fonction, c’est exagéré. C’est très important d’avoir des employés communaux comme les secrétaires municipales, comptables, etc. Eux, doivent avoir un certain professionnalisme et heureusement qu’ils l’ont, parce qu’on a besoin d’eux. En quelque sorte la secrétaire municipale est un peu le sixième municipal.
Quel genre de formation demande ce projet de loi pour les élus?
Il nous faut celle du bon sens! Imaginons, si un administré dépose un permis de construire pour modifier sa maison. Si l’on voit qu’il y a une fenêtre qui fait trois centimètres de trop, l’ordinateur va tout de suite dire non. Mais un élu va utiliser son bon sens et dira qu’on peut, éventuellement, déroger aux règles. Autre exemple. Notre district compte huit communes. Il est inscrit dans l’avant-projet que pour créer une association intercommunale. Il faudra être trois, cinq ou sept. Le huitième, que fait-il? Compte-t-il les points? Tout le monde n’est pas d’accord avec moi quant à la façon de faire. Il faut raison garder: les règlements vont trop loin, il n’ y a plus de liberté de manœuvre. Tout est trop carré.
Selon vous, ce changement de loi ressemble à une «francisation» de la politique cantonale. Qu’entendez-vous par là?
Il y a deux façons de voir les choses. Premièrement, il n’y a qu’à voir ce qui se passe ces jours de l’autre côté de la frontière. Pour moi la France est un des plus beaux pays au monde. Malheureusement il a des problèmes politiques importants. Elle traverse de graves turbulences que nous ne voudrions pas vivre chez nous. La francisation veut dire que tout est réglementé, surtout centralisé à l’extrême! Ils n’ont pas une démocratie aussi vivante et directe que la nôtre. C’est un pays dit démocratique qui a une tradition royaliste. Nous avons des avis totalement divergents quant à la gestion des choses publiques. Deuxièmement, même si nous avons besoin de frontaliers, ils ont peut-être une influence. Ils ne veulent pas forcément se mettre dans le moule helvétique mais plutôt imposer leur point de vue.
Vous avez l’impression que le Conseil d’Etat vaudois ne fait plus confiance aux capacités des municipalités?
Non et je tiens à rappeler que les conseillers et conseillères d’Etat, à ma connaissance, ne sont pas, de facto, des professionnels non plus. Ils sont, aussi, des politiciens. Ils ont aussi été d’abord des miliciens, puis mis en place au Conseil d’Etat vaudois par les suffrages de la population. Ils ont toute une équipe autour d’eux, qui eux, sont des professionnels, notamment des chefs de services, pour les épauler. A trop réglementer, trop se protéger, le volontariat et l’esprit milicien s’érodent.