Les commerçants du Flon sous pression

Rédigé par
Elise Dottrens
Lausanne

COMMERCE • La prochaine  fermeture du magasin Maniak a fait couler beaucoup d’encre. Mais la légendaire enseigne à la tête de mort n’est pas la seule en difficulté dans le quartier du Flon. Elle pourrait même être l’arbre qui cache la forêt…

Il est mardi, 13h30. Côté Métropole, les abords des bâtiments Les Jumeaux grouillent de l’agitation de la brasserie Belleville et du glacier Loom. En face, entre le Tao et l’Istanbul, les terrasses se débarrassent d’un service de midi productif. Branché, le Flon l’est sans aucun doute. Mais ce paysage digne des plus grands quartiers d’affaires cache les inquiétudes de nombre de ses commerçants. 
Et ce n’est pas nouveau: Sport Discount, Rip Curl, AudioConcept ont plié bagage, certains il y a plusieurs années déjà. Maniak fermera ses portes fin mai. D’autres ont été notifiés d’une résiliation de bail pour les prochains mois. Le Tacos Bar est en danger et cherche activement des solutions. Bref, l’état de santé des commerçants du Flon interroge.  
Grand coup de balai 
C’est la gérance Mobimo qui est propriétaire de la trentaine de bâtiments qui forment le Flon, rues y compris. Et ses méthodes font grincer quelques dents chez certains de leurs locataires, surtout les commerçants de détail. Ce qui est arrivé à Maniak est arrivé à d’autres. Après Burton, anciennement Rip Curl, et Sport Discount, avec qui Mobimo était en conflit, mais qui n’ont jamais donné suite à nos appels, d’autres enseignes ont reçu leur résiliation. C’est le cas de ce commerçant, désirant rester anonyme, qui devra bientôt s’en aller: «Avant, quand Mobimo mettait les gens dehors, ils venaient discuter et faisaient des propositions. Si le commerçant était d’accord de partir, ils le dédommageaient. Mais ils ont changé de politique, dorénavant ils envoient simplement des lettres pour résilier le bail, sans motif. Un délai d’une année est donné.» 
Selon lui, le but recherché par Mobimo est simple: renouveler les baux pour les ajuster aux tarifs actuels. Et si dans le même temps, les plus grandes surfaces peuvent être divisées en plusieurs petites parcelles, cela augmentera encore les revenus. A la rue de Genève 7, un étage au-dessus de Maniak, Mobimo a investi un étage d’un bâtiment lumineux. «Nous n’avons pas résilié ces baux parce que nous ne voulions plus de ces enseignes dans le quartier, explique Graziella Jayet, responsable management du quartier du Flon. Nous avons notamment proposé diverses variantes à ce locataire pour rester dans une plus petite surface. Notre vision est adaptée aux besoins actuels du marché en proposant une mixité et diversification de l’offre sur des surfaces de plus petite taille. Lorsque nous avons des demandes d’enseignes, c’est pour des petits locaux». Interrogé sur les avantages financiers d’une telle stratégie, Mobimo ne dévoile pas de chiffres et réfute vouloir se débarrasser de certains commerçants. «L’objectif n’est pas de se séparer de nos locataires pour générer plus de chiffre d’affaires au mètre carré, mais de proposer une offre adaptée aux tendances du marché, tout en garantissant une rentabilité adéquate.» 
Zalando et places de parc
Pas de liste de commerçants à éconduire, donc, mais «une ligne de gestion générale d’un lieu qui évolue en phase avec son temps.» Les prochaines étapes seront dictées notamment par des projets de rénovation, d’optimisation d’espaces ainsi que des améliorations de l’efficacité énergétique de certains bâtiments. Un peu plus loin, dans le temple de la basket Pomp It Up, le propriétaire Guillaume «Toto» Morand reconnaît n’avoir pas beaucoup de contacts avec Mobimo. Installé depuis 2007, il n’exclut pas de recevoir une lettre dans deux ans, au terme de son bail. Ce qui lui a donné le plus de fil à retordre ces derniers mois, ce sont les grands sites comme Zalando, chez qui ses clients lui font des infidélités. Pour lui, il manque des boutiques à loyer modéré pour les petits commerçants qui veulent se lancer. «Ça reflète ce qui se passe dans toutes les autres rues, le commerce textile est en grande difficulté, et il y en a de moins en moins. Au Flon, c’est surtout les bars et les restaurants qui ont pris.»
Lorsqu’un nouveau commerce ouvre au Flon, c’est effectivement souvent un restaurateur, comme  The Green Van Company en 2017, la Brasserie Belleville en 2022, ou Crrsp en 2024. Pour eux, le commerce en ligne n’est pas une menace, même si leur situation reste compliquée. En cause, selon la majorité des tenanciers: la politique lausannoise des transports. Les travaux du tram, et la diminution drastique des places de parc découragent les potentiels clients. Certains commerçants, comme le tenancier du King Size Pub, Pascal Duffard, par exemple, comptent demander des compensations pour les dommages collatéraux liés au travaux du tram. «La Municipalité a tué la ville, abonde Andy West, patron du Tacos Bar. Travaux, politique anti-voitures, les flics à la sortie du parking du Flon vendredi et samedi soirs, cette ville est devenue infernale.» 
Appel à l'aide
Une situation qui a poussé le tenancier à lancer un appel à l’aide sur les réseaux sociaux, pour assurer la survie de son bar. Investissement malchanceux, amiante, Covid, mais aussi changement sociétal au lendemain de la pandémie ont contribué à pousser le Tacos vers sa situation actuelle. «Les gens ont  changé leurs habitudes. Ils commandent tout sur Uber et regardent Netflix en mangeant. On a retrouvé seulement 50% de la clientèle. Et puis, on est dans une cave. Quand les terrasses ouvrent, c’est compliqué». Andy West assure que Mobimo l’a soutenu dans toutes ses difficultés. Dernièrement, ils lui ont permis l’installation d’une terrasse. Si la gérance reconnaît que la conjoncture est compliquée, Graziella Jayet relève que ce n’est pas propre à Lausanne. «Il y a une problématique générale dans les centres villes. Nous avons de grands atouts au Flon.» L’arrivée du tram, d’ici 2026, pourrait donner de l’air frais aux commerçants. Sauf si, d’ici là, une nouvelle tuile leur tombe dessus...  

 

Et le Jumeaux Jazz Club?

Installé au sous-sol des emblématiques bâtiments «Les Jumeaux» en 2024, le Jumeaux Jazz Club jouit d’une situation différente des autres acteurs du Flon. Le club sous-loue son local, non pas à Mobimo, mais à la Ville de Lausanne. Subventionné par cette dernière, l’établissement doit quand même continuer à regarder au porte-monnaie. «En matière de fréquentation, on est dans le tir, explique Arnaud Di Clemente, directeur artistique. On peut prouver que notre lieu a une raison d’être». Mais la musique live, ça coûte cher, et les revenus des Jumeaux sont en dessous des prévisions. «On a le culot d’ouvrir un club de 300 places au milieu de la ville en 2024, on paie les difficultés que ça engendre».

En savoir plus