«A Lausanne, les loyers sont élevés à cause 
de la spéculation»

Rédigé par
Charaf Abdessemed
Lausanne

LOGEMENT • Conseiller communal socialiste, Mountazar Jaffar est  l’auteur d’une thèse de doctorat intitulée «Les grandes villes suisses face aux pressions néolibérales (1970-2022)» qu’il soutiendra à l’Université de Lausanne l’année prochaine. Il revient sur des années de recherche compilant des dizaines de milliers de données sur le logement à travers toute la Suisse.

Lausanne Cités:Est-il toujours très difficile et très cher, de se loger à Lausanne?
Mountazar Jaffar: Entre 1990 et 2022, dans toutes les grandes villes suisses que j’ai étudiées, les loyers ont augmenté bien plus rapidement que les revenus des ménages. Cette dynamique a considérablement réduit l’accessibilité au logement, en particulier pour les classes populaires et moyennes. Et Lausanne n’échappe pas à cette tendance, même si les chiffres montrent qu’y loger revient moins cher que dans d’autres grandes villes suisses et également moins cher qu’ailleurs dans le canton de Vaud.

Comment ont évolué les loyers à Lausanne comparativement aux autres grandes villes suisses?
Les loyers ont augmenté de manière importante en 30 ans, puisque le loyer nominal net moyen sans charges est passé de 1010 francs par mois à 1354 francs, indexé au coût de la vie. Cela fait une augmentation de 30%, contre une augmentation de 33% à Zurich et de 41% à Genève.

Lausanne a-t-elle construit suffisamment de logements en 30 ans?
A Lausanne, le nombre de logements a augmenté de 21% depuis 1990, alors que la population n’a augmenté que de 9,44% dans le même intervalle de temps. Comme dans la quasi-totalité des grandes villes suisses à l’exception notable de Genève, le nombre de logements y a augmenté plus vite que la population. Ceci alors que la droite et les milieux immobiliers expliquent la situation de pénurie actuelle par un déficit de construction de logements…

Dès lors que l’on dispose de plus de logements, comment expliquer la flambée des loyers?
Selon les chiffres, le rôle de la pénurie dans l’augmentation des loyers est relatif. La flambée des loyers est plus portée par la revalorisation des loyers existants que par des effets liés à la construction de nouveaux logements. L’écart important entre l’évolution du nombre de logements et l’évolution des loyers dans plusieurs villes montre que la tension sur les loyers ne résulte  principalement pas de loyers initiaux élevés sur de nouveaux biens, mais bien d’une inflation générale sur le parc existant. Résultat: La crise du logement n’est pas due à un manque de logements en valeur absolue mais notamment à la sous-occupation, à l’augmentation du m2 par personne, car les gens ne déménagent pas par crainte de voir leur loyer augmenter.

Et à quoi peut-on attribuer cette inflation sur le parc existant?
A un changement structurel du profil des propriétaires immobiliers en Suisse. Depuis le milieu des années 2000, de plus en plus de logements sont détenus par des investisseurs institutionnels,  notamment les compagnies d’assurances, les banques et les caisses de pension. Ces acteurs possèdent aujourd’hui une part significative du marché, comme SwissLife qui détient à lui seul près d’un tiers des logements locatifs de Suisse, renforçant l’idée que le logement est désormais principalement conçu comme un actif financier, avec pour objectif la recherche de rendements. Le logement n’est plus uniquement un bien d’usage ou un droit répondant à un besoin social fondamental, mais devient un produit d’investissement cherchant à maximiser des rendements, indépendamment des besoins démographiques réels.

Venons-en à la politique menée par la Ville de Lausanne en matière de logement, vertement critiquée par la droite… 
D’abord un rappel historique: à son arrivée au début des années 1990, la majorité de gauche a poursuivi la politique de subventions menée par la précédente majorité radicale. Mais dans les années 2005 avec le projet Métamorphose, la Ville a pris conscience que cette politique risquait de concentrer trop de personnes à bas revenus, avec ce que cela impliquait en termes de fiscalité et de politique sociale et ce, alors que les autres communes ne prenaient pas leur part. C’est à ce moment-là qu’elle a choisi de mettre en place la politique dite des «Trois tiers» (1/3 tiers de logements subventionnés, 1/3 de régulés et 1/3 de libres/PPE, ndlr) qui était un casus belli pour la droite et les milieux immobiliers, la Ville devenant dès lors un acteur immobilier à part entière.  

Avec quel résultat?
Cette nouvelle politique menée par la Ville a eu pour effet d’empêcher les acteurs que j’ai mentionnés de grignoter des parts supplémentaires du marché immobilier lausannois. La Ville a pu ainsi garantir des loyers abordables et une plus grande disponibilité de logements. Les accusations de la droite sont de mauvaise foi et ne sont pas fidèles à la réalité objectivée par les chiffres, elles visent juste à décrédibiliser l’action politique de la majorité de gauche, qui a permis à la classe moyenne de rester en ville.

C’est à dire?
Si on avait appliqué la politique que la droite avait préconisée, on aurait eu une ville où les promoteurs, les caisses de pension, les banques auraient été tout puissants et dicté leurs règles. Avec pour résultat une éviction des classes modestes des centres-villes comme à Zurich et qui auraient massivement rejoint les zones péri-urbaines telles que Cossonay, Echallens ou Moudon, avec les problèmes de mobilité et de pression démographique que l’on observe déjà.  

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