
PRÉCARITÉ • En raison de l’augmentation des loyers, des coûts de l’énergie et de certains produits alimentaires, de nombreux retraités voient leur situation financière se détériorer, au point de ne plus réussir à joindre les deux bouts. Des Vaudois tirent la sonnette d’alarme.
«Avant, je gagnais 4500 francs par mois. J’avais une voiture et de quoi me payer des vacances parfois. Jamais je n’aurai cru me retrouver si démunie à mon âge!» A sa demande, nous l’appellerons Raymonde. Cette retraitée de 74 ans a honte de sa situation et elle est aussi en colère. Elle a travaillé à temps plein de ses 19 à ses 60 ans. Et cela jusqu’à ce qu’un licenciement la laisse sur le carreau au pire moment, et qu’elle ne finisse par se résoudre à retirer son 2e pilier «pour survivre».
Aujourd’hui, la résidente d’Echallens «vivote», selon ses propres mots, avec 2200 francs par mois, dont 400 francs d’aide sociale. La moitié de ce revenu, bien modeste, part dans son loyer. Et ils sont des centaines d’autres seniors comme elle dans le Canton de Vaud et des milliers en Suisse, à ne pas réussir à joindre les deux bouts.
Car si vieillesse rime parfois avec sagesse, c’est nettement moins le cas avec richesse dans notre pays. En Suisse, 14% des retraités sont dans la précarité, 200’000 seniors vivent en dessous du seuil de pauvreté et 100’000 autres ont tout juste ce qu’il faut pour subvenir à leurs besoins, selon les estimations de Pro Senectute. Une récente étude de l’UBS relève également qu’une grosse moitié des personnes ayant pris leur retraite ces cinq dernières années ont vu leur situation financière se péjorer. Ce travail souligne aussi qu’un citoyen de 50 ans devrait mettre de côté 28% de son salaire pour conserver son niveau de vie une fois arrivé à la retraite!
Retraités, mais obligés de travailler
«L’inflation a grandement aggravé la situation ces deux dernières années, remarque Fabien Junod, président et responsable opérationnel des Cartons du cœur. Le plus souvent, les seniors qui bénéficient de nos colis ne sortent jamais de ce système d’aide, pourtant censé être temporaire. Certains d’entre eux se privent parfois de manger pour nourrir leur animal de compagnie!» Le professionnel de cette association caritative, basée à Etagnières, constate que beaucoup de personnes âgées vivent le fait de demander de l’aide comme une humiliation et que certains s’imposent de continuer à travailler pour tenter de boucler leurs fins de mois. Ainsi, en 2023, d’après l’Office fédéral de la statistique, presque 18% des 65-74 ans travaillaient encore en Suisse. C’est quasiment deux fois plus que la moyenne européenne. On estime aussi que près de 300’000 retraités ne peuvent pas s’arrêter de travailler, faute de revenus suffisants. Beaucoup n’ont pas eu la présence d’esprit ou les moyens de se constituer un 3e pilier conséquent. Selon l’Observatoire national de la vieillesse, les femmes, les ressortissants étrangers et les personnes ayant un niveau de formation peu élevé sont particulièrement menacés de pauvreté une fois arivés à la retraite. Notons aussi les fortes disparités régionales. Dans le Canton de Vaud, 13,4% des personnes âgées sont touchées par la pauvreté contre 15,9% à Genève, 8,8% en Valais ou 29,5% au Tessin, qui détient le triste record national.
Une senior précaire indignée
«Notre canton reste dans la moyenne nationale, mais de plus en plus de seniors y sont frappés par la précarité financière et malgré cela, l’Office fédéral des assurances sociales a choisi d’amputer dès 2024 l’habituelle subvention qu’il nous versait, de plus de 300’000 francs, déplore Colin Ballif. Il n’est pas rare que le passage à la retraite marque une perte de revenu de 30 à 40%, voire plus!» Le responsable du service social de Pro Senectute Vaud constate que la pauvreté va de pair avec une péjoration de la santé mentale. Les dernières statistiques indiquent effectivement que la part des personnes en mauvaise santé est deux fois plus élevée chez les seniors pauvres que chez les autres, que la part des personnes seules est quant à elle quatre fois plus élevée, tout comme le taux d’insatisfaction générale.
Colin Ballif relève aussi qu’un gros tiers de la population connait mal le domaine des assurances sociales et n’a donc pas une vision réaliste de ce qu’il touchera une fois à la retraite. Pourtant, des simulations sont possibles gratuitement dans les caisses AVS. Un autre problème est que, contrairement à Raymonde, 15,7% des personnes de plus de 65 ans ne touchent pas les prestations complémentaires, alors même qu’elles y auraient droit. Notons d’ailleurs que l’un des axes de «Vieillir 2030», la politique cantonale sur le vieillissement, consiste justement à «promouvoir un accès équitable aux prestations socio-sanitaires et lutter contre la pauvreté des seniors.» Pas de quoi faire décolérer Raymonde cependant: «Je suis indignée de voir que tant de personnes âgées autour