
THÉÂTRE • C’est un grand vaisseau de bois amarré à Servion, qui met le cap toute l’année vers les rives de Broadway. Le Théâtre Barnabé, réputé pour ses comédies musicales, se distingue par son approche ambitieuse et sa scénographie unique. Immersion au cœur de cette machine à faire rêver.
Le chrono est lancé: une fois le spectacle écrit, l’équipe a seulement sept semaines pour concevoir les décors, les costumes, la scénographie, se préparer et répéter. Des avions de chasse aux sous-marins, de la forêt de Sherwood aux casinos de Las Vegas, les créations repoussent sans cesse les limites du possible en mêlant ingénierie, effets spéciaux et technologie numérique. Derrière ces prouesses, se cache un travail titanesque assuré par une cinquantaine de professionnels.
Une équipe soudée
Giliane Béguin, régisseuse, ajoute: «On doit savoir faire plein de choses très différentes, la polyvalence et la capacité d’adaptation sont des forces collectives ici.» Dans un milieu où le stress, le mobbing et les egos démesurés peuvent parfois prendre le dessus, le Théâtre Barnabé se distingue par son atmosphère coopérative, qui n’exclut pas, évidemment, quelques coups de stress.
Mais Noam Perakis, directeur du théâtre, et co-auteur avec Céline Rey des spectacles, ne s’interdit rien et réfléchit dès le processus d’écriture à la faisabilité technique des idées.
«J’ai la chance de maîtriser un peu l’électronique, l’informatique, la mécanique, la construction de décors… et surtout je connais par cœur ce lieu unique. Je n’imagine rien qu’on ne puisse pas faire à Barnabé.» Florian Zaramella, le directeur technique, nuance: «Cela nous est déjà arrivé de devoir demander à Noam de revoir un peu sa copie. On arrive parfois aux limites techniques offertes par nos moyens, ou tout simplement par la taille du plateau.» Mais à Barnabé, rien n’est impossible. «Sur “Robin des Bois”, un de nos grands défis a été de fabriquer une trappe anglaise, enchaîne Florian. C’est un système complexe de menuiserie avec un mécanisme qui enclenche une trappe qui s’ouvre au sol pour faire disparaître un comédien et qui se referme aussitôt. C’est tellement sensible et précis qu’on a dû la refaire six fois avant que le mécanisme fonctionne à la perfection.»
Noam Perakis a un argument imparable, celui du public: «Ici, ce n’est pas comme à Vidy ou au théâtre contemporain. On ne peut pas proposer un plateau vide et dépouillé pour que le spectateur fasse sa propre construction mentale. Si une scène se passe dans une forêt dense et mystérieuse, notre public veut voir une forêt dense et mystérieuse.» Reste que si le public est conquis par ces spectacles grandioses, la réalité financière est plus complexe. Les subventions ne couvrent que 15% du budget, qui se situe entre trois et quatre millions de francs pour une saison. Le soutien de sponsors privés, comme la Raiffeisen, ou de l’association des Amis du Théâtre, est essentiel. Et le théâtre doit faire preuve de créativité pour assurer sa pérennité. Céline Rey, co-directrice et co-autrice, s’enthousiasme: «On a fait un avion de chasse pour Hollywood, le public attendait donc encore plus pour le prochain! Alors on a fait voler un hélicoptère pour Viva Vegas. Pour notre dernier spectacle jeune public, une adaptation du roman «Les Malheurs de Sophie», Noam a fini par inventer un sous-marin!».
Un hangar de stockage
Outre leur conception qui défie à la fois les lois de l’inventivité et de l’imagination, l’autre grand défi de ces décors est le stockage. Car contrairement à ce qu’on l’on pourrait croire, la plupart de ces éléments est vouée à finir à la benne, faute de possibilité de stockage. «C’est un problème récurrent pour bon nombre de grands théâtres. On ne sait pas où stocker nos décors, alors on les détruit, confie Noam Perakis. C’est aberrant car on pourrait certainement les réutiliser. Nous réfléchissons à la création d’un hangar inter-théâtres pour stocker et réutiliser les décors, une solution à la fois écologique et économique.» Du haut de sa vingtaine et avec beaucoup de motivation, Elodie Belin s’est retrouvée à la tête du département costumes du Théâtre Barnabé, qui conserve avec soin une collection unique de plus de dix mille pièces issues des créations précédentes. Un formidable fond dans lequel elle puise au gré de ses inspirations et des besoins pour les nouveaux spectacles. La comédie musicale «Robin des Bois», à l’affiche jusqu’au 26 février dernier, a offert un exemple frappant de son travail. Les costumes devaient être à la fois fidèles aux personnages présents dans l’imaginaire collectif, et adaptés aux chorégraphies dynamiques de Gilles Guenat. «Un des défis a résidé dans les changements rapides de costumes sur scène, qui nécessitaient des solutions innovantes comme les bandes quick change qui permettent de quitter un vêtement d’un seul geste.»
Envole-moi
Avec Jean-Claude Blaser, les comédiens s’envoyaient littéralement en l’air durant le spectacle. Cet artisan passionné, basé à Blonay, a une profession unique en son genre: concepteur de machines de vol. Des concerts de Slimane au Puy du Fou, de Disneyland Paris au Théâtre Barnabé, tout le monde s’arrache ses mécanismes. Ses créations, basées sur un système ingénieux de contrepoids et de poulies, défient les lois de la gravité et transportent les artistes dans les airs. Sur «Robin des Bois», il y avait des séquences de vols, dont une au-dessus du public, qui a donné quelques sueurs froides à son concepteur: «Le risque zéro n’existe pas. Une fois, le comédien en vol est resté coincé à quatre mètres au-dessus du sol. On a dû sortir une grande échelle pour le faire descendre. Le public a cru à un gag et a applaudi.»
Mais derrière cette légèreté apparente se cache un savoir-faire exigeant. Chaque machine est conçue sur mesure et chaque pièce est assemblée à la main, sans soudure, uniquement par boulonnage. De saison en saison, le Théâtre Barnabé repousse les limites de ses créations pour surprendre son public. Au-delà de la scène, c’est une histoire de passion, de collaboration et de dévouement qui continue de s’écrire chaque soir...