Un petit propriétaire berné fait plier 
la régie lausannoise Galland & Cie

Rédigé par
Laurent Grabet
Lausanne

MÉSAVENTURE • Epaulé par un «avocat des rues», un bailleur désespéré est parvenu à se faire rembourser 18 mois de loyers impayés par une puissante régie lausannoise. Laquelle reconnait sa responsabilité dans cette affaire. Explications.

C’est une histoire de location kafkaïenne. C’est aussi une histoire à la David contre Goliath. C’est l’histoire de Roshan Prabhakaran*. Ce paisible propriétaire vaudois d’origine sri lankaise n’a pas souhaité nous raconter lui-même son «cauchemar», à base de locataires-squatteurs malhonnêtes et insolvables et de régie immobilière négligente et peu coopérative. «Son mutisme s’explique par la peur des représailles et par l’envie d’oublier cette mésaventure qui lui a pourri la vie et la santé deux longues années durant», explique Olivier Racine, qui s’est saisi de ce  dossier au forceps. 
Cet écrivain et aventurier lausannois est parfois aussi surnommé «l’avocat des rues» car son tempérament combatif a déjà retourné de nombreuses situations administratives ou juridiques inextricables au profit de gens simples. Lui et Roshan Prabhakaran se sont croisés par hasard dans une église de la capitale vaudoise. Ils partagent la même foi chrétienne au point de voir dans leur rencontre «une providence». Sa conclusion heureuse a en tous cas des accents presque bibliques.
Les économies d’une vie 
Flashback. Voici trente ans, Roshan qui travaille comme concierge et s’est installé en Suisse il y a 40 ans pour fuir la guerre civile dans son pays, investit ses économies et retire son 2e pilier pour devenir propriétaire à crédit d’un petit appartement à Renens. Et ce avec pour objectif d’obtenir un revenu locatif complémentaire lui permettant de subvenir aux besoins de sa famille et notamment de ses deux grandes filles, futures brillantes étudiantes et d’avoir une retraite paisible. Le Tamoul mène une vie très spartiate, vierge de toutes sorties onéreuses. Il ne mange par exemple jamais au restaurant afin de rembourser son prêt. Ne maitrisant pas totalement le français et encore moins les subtilités du droit du bail, il se tourne vers Galland & Cie pour gérer son bien. La régie immobilière lausannoise, fondée en 1889 par une famille patricienne huguenote mettant en avant des valeurs sociales, lui inspire confiance. Le petit immigré chrétien, habitué à faire profil bas, s’en repentira.
En janvier 2023, c’est de lui-même que Roshan Prabhakaran s’aperçoit que ses nouveaux locataires n’ont toujours pas réglé leurs deux premiers mois de loyers. Il comprend du même coup que sa régie n’a pas bien fait son travail. Après une rapide enquête, il s’avère que ce couple de locataires avait menti sur son précédent lieu de domicile, produit de faux documents à Galland & Cie, notamment concernant sa situation financière, alors même qu’il était en poursuite pour un montant avoisinant les 80’000 francs.  Ces malversations auraient pu être aisément décelées d’autant que les indélicats avaient déjà tenté par le passé de falsifier un extrait du registre des poursuites auprès de Régimo, une régie lausannoise concurrente, laquelle les avait dénoncés illico… Ces faits antérieurs, couplés à diverses autres escroqueries, valent à l’homme de ce couple de purger actuellement une peine d’enfermement de 23 mois à la prison de la Croisée sans lien avec notre affaire.
Désarçonné par les agissements de ces tristes sires, Roshan tente à de nombreuses reprises de faire valoir ses droits auprès de Galland & Cie. «Et ce via sa protection juridique, mais aussi via un agent d’affaire vers lequel l’avait aiguillé la régie elle-même, chose inhabituelle en pareil cas», relève Olivier Racine. Sans succès en tous cas! «Le plus souvent, on ne lui a pas répondu et il a parfois été traité avec impolitesse voire avec un mépris de classe. Rien de sérieux n’a en tous cas été entrepris pour résoudre le problème et simplement avoir affaire à un interlocuteur clair de la régie Galland, même simplement au bout du fil, semblait impossible!», s’offusque encore Olivier Racine.
La seule démarche judicieuse et payante est celle que Roshan avait fait d’emblée par l’entremise de son premier avocat: début 2023, il avait déposé une plainte pénale contre ses faux locataires et vrais escrocs. Mais il faudra patienter jusqu’en juin 2024 pour que ces derniers soient finalement expulsés du logement qu’ils squattaient alors depuis 18 mois. Ils laissent derrière eux une ardoise de plus de 53’000 francs de loyers impayés. Une somme astronomique dans la situation financière modeste de Roshan Prabhakaran. Craignant qu’il n’y laisse sa santé, sa famille avait pourtant tenté de le convaincre de lâcher l’affaire. Après moults emails aussi fleuris qu’argumentés d’Olivier Racine à la régie, ce dernier fait rentrer son avocat Me Christian Dénériaz dans la danse. 
Bataille loin d’être terminée?
En deux courriers fermes, l’homme de loi lausannois réussit là où l’agent d’affaire de Roshan n’avait rien obtenu en deux ans. Il reçoit finalement une réponse de Patrice Galland et elle est positive. Reconnaissant, dans la convention que nous avons pu consulter, «sa responsabilité pour les différents manquements au devoir de diligence», le patron de la régie consent à rembourser les loyers impayés au petit bailleur sri lankais (lire encadré). «Mais pas les presque 9000 francs que mon ami a perdus dans sa bataille judiciaire ni ses 6000 d’intérêts moratoires», peste Olivier Racine pour qui «cette affaire semble loin d’être terminée». Le «Robin des Bois» lausannois explique de son côté avoir «œuvré gracieusement par dégoût viscéral de l’injustice et de la domination des puissants sur les petits». Quant au retraité tamoul, il se dit satisfait d’avoir retrouvé sa sérénité. Avec la fronde de la justice et de l’abnégation, ce petit «David» a fini par faire plier son «Goliath»…  

*prénom et nom fictifs, identité connue de la rédaction

«Nos nouvelles procédures sont  plus strictes et efficaces»

Contacté, Patrice Galland, directeur de la régie lausannoise, s’explique: «Notre régie a pris cette affaire très au sérieux dès le début et un arrangement a pu être trouvé dès que la culpabilité du locataire a fait l’objet d’une condamnation pénale. La gérance n’a pas à porter en plus la responsabilité du fait que cette personne malhonnête ait fait des faux dans les titres et que des procédures s’en sont suivies.» Il précise encore:  «Notre entreprise est constituée de grands professionnels mais qui peuvent évidemment parfois aussi se tromper. Cette affaire nous a conduits à rendre nos procédures plus strictes et efficaces.» 

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