
VIE COMMUNALE • Racisme au sein de la police, deux adolescents décédés lors de courses-poursuites avec la police, émeutes urbaines, ras-le-bol des commerçants… Lausanne fait face à des défis inédits pour une ville romande. Rencontre sans concessions avec le syndic Grégoire Junod.
Lausanne Cités: Commençons par les émeutes de Prélaz. Les aviez-vous vues venir?
Grégoire Junod: Nous savions que les révélations sur les échanges racistes tenus par un groupe de policiers sur WhatsApp pourraient susciter des réactions fortes, avec un risque de débordements auxquels les forces de l’ordre s’étaient préparées. Et puis est arrivé la veille le décès du jeune Marvin qui a servi de déclencheur…
Des émeutes urbaines, ce n’est pas à proprement parler très suisse…
C’est vrai et heureusement c’est rare. Mais il faut mesurer l’impact de tout ce qu’il s’est passé. La tristesse, que nous partageons, du décès de Marvin et la colère amplifiée par les révélations des groupes WhatsApp ont contribué à ces débordements… Même si la violence n’est jamais la bonne réponse.
Quelles leçons en tirez-vous?
Les échauffourées se sont heureusement vite arrêtées. La famille et les proches de Marvin ont été remarquables en appelant au calme et au recueillement. Comme le centre d’animation socioculturelle d’ailleurs. La population du quartier de Prélaz s’est ainsi rapidement retrouvée pour dire: «Pas de ça chez nous!». Le travail mené depuis des années sur le vivre-ensemble, en matière d’intégration, d’emploi et de logement porte donc ses fruits.
La police lausannoise a-t-elle un problème avec la jeunesse et les minorités?
Les messages révélés ont ouvert une crise de confiance avec une partie de la population. L’enjeu est donc de la rétablir. Mais aussi de témoigner notre soutien au corps de police dans son travail de tous les jours comme dans les réformes à mener.
Racisme structurel, racisme systémique… On a l’impression que la guerre des mots a occulté l’essentiel…
Vous avez raison. On a clarifié les choses, il ne s’agit pas de dire que tous les policiers sont racistes: une grande majorité fait très bien son travail, et cette affaire leur cause d’ailleurs beaucoup de tort. En revanche, nous n’avons aujourd’hui pas les outils pour détecter ou empêcher les dérives auxquelles nous avons assisté. Il faut travailler sur la culture policière et répondre à une double exigence: un besoin légitime de sécurité attendu par la population et la garantie essentielle d’un traitement impartial de chacune et chacun de la part de la police, et plus largement de toute l’administration. Entre les deux, il y a un espace pour bâtir quelque chose qui fasse du sens, pour la police comme pour la population.
Ce n’est pas pour demain…
La réforme prendra du temps, c’est vrai. Mais on ne choisit pas les crises qui arrivent, on les affronte… La Municipalité est soudée sur la feuille de route à suivre.
Et à court terme, que fait-on?
Tout le monde sait, y compris celles et ceux qui critiquent la police, à quel point il est précieux de pouvoir faire appel à elle lorsqu’on en a besoin. Il y a donc aussi une confiance à restaurer avec le corps de police, qui passe d’un côté par une claire exigence de non-discrimination, et de l’autre par une reconnaissance du travail effectué et de ses difficultés. Il faut aussi un discours clair sur la sécurité publique, sans minimiser les problèmes auxquels Lausanne fait face.
Difficile de rentrer dans la tête des gens tout de même…
Oui, chacune et chacun est évidemment libre de penser ce qu’il veut! Mais en en tant qu’autorité publique, notre responsabilité est d’exiger un comportement non discriminatoire dans l’accomplissement du travail de chaque fonctionnaire.
La droite vous accuse de ne pas avoir assez investi dans la sécurité…
C’est faux. Depuis 15 ans, nous avons créé près de 120 postes dans la police et la sécurité à Lausanne. Mais le problème actuel se situe au niveau des sous-effectifs, pas du budget.
Venons-en aux commerçants. Cet été, un important mouvement de fronde a émergé sous la bannière «On en a marre!». Comprenez-vous ce sentiment de ras-le-bol?
Oui, la situation du commerce est très compliquée et cette période préélectorale exacerbe aussi les choses. Mais la méthode utilisée est d’abord un autogoal pour les commerces. Il n’y a pas pire campagne qu’«On en a marre!» pour dissuader la clientèle de venir faire ses achats en ville.
Au-delà des enjeux électoraux, il y a un vrai problème...
Bien sûr. Le développement du commerce en ligne, le niveau des loyers et de nombreux chantiers fragilisent le commerce de proximité. Les travaux du parking de la Riponne, ont d’un coup fortement réduit le nombre de places de parc, cela a amplifié l’insatisfaction… Heureusement, le parking retrouvera sa pleine capacité pour les fêtes de fin d’année.
N’avez-vous pas été trop vite et trop fort en termes d’aménagements de mobilité et de multiplication des chantiers?
C’est compliqué car une ville en chantiers, c’est d’abord une ville dont on prend soin et que l’on dote d’infrastructures indispensables pour l’avenir, le tram, les bus à haut niveau de service, le chauffage à distance... Mais nous devons travailler ensemble à des solutions. Comme les P+R qui ont été rendus gratuits le samedi par exemple. Des panneaux seront aussi déployés cette fin d’année pour orienter les automobilistes vers les 5000 places disponibles dans des parkings souterrains du centre-ville et nous avons débloqué des fonds pour soutenir des projets portés par les commerçants.
Concevez-vous que le commerce local soit vital pour une ville?
Évidemment et c’est pourquoi nous allons aussi proposer de nouveaux outils pour indemniser les commerces affectés par les travaux.
On a tout de même un sentiment de clochardisation de la ville…
C’est évidemment exagéré mais c’est indéniable que l’émergence du phénomène du crack et d’une pauvreté visible et mobile à l’échelle européenne met sous pression les centre-villes en Suisse. Les villes se retrouvent en première ligne, et parfois bien seules, pour apporter des réponses sociales, sanitaires et sécuritaires. En ce qui concerne la mendicité, la loi cantonale a enfin été votée et elle ressemble beaucoup à l’ancien règlement lausannois. Elle doit permettre de réguler la mendicité pour que l’espace public soit agréable pour tout le monde. Cette loi n’aurait pas vu le jour sans l’engagement de la Ville de Lausanne qui a dû faire face au faible empressement de la majorité de droite au Grand Conseil, sans doute parce que ce problème concerne surtout Lausanne et très peu le reste du canton.
Que dites-vous à ceux qui disent ne plus reconnaître leur ville…
Bien sûr que la ville a changé! Lausanne s’est internationalisée – elle compte aujourd’hui 43% de population étrangère –, elle s’est aussi rajeunie et modernisée, avec beaucoup de nouveaux aménagements, des parcs, le développement de vraies vies de quartier… Il y a beaucoup de choses qui vont bien!
Comme quoi?
Nous avons fait en sorte que Lausanne demeure une ville où tout le monde trouve sa place. Grâce à notre politique du logement, la classe moyenne et les milieux modestes ne sont pas repoussés en périphérie. Nous développons les infrastructures, améliorons l’accueil en crèche et on se rapproche de l’objectif d’une place disponible pour chaque enfant. Nous avons aussi baissé le prix des transports publics pour les jeunes en formation et les retraités. Lausanne dispose d’une offre culturelle remarquable et organise des événements sportifs de haut vol… C’est d’ailleurs bien la qualité de vie offerte ici qui explique pourquoi notre ville connaît une croissance de la population, avec les défis qui vont avec.