Les jeunes Vaudois vont moins à l’église, mais ils gardent la foi en Dieu

Rédigé par
Miguel Da Silva Rodrigues
Vaud

SPIRITUALITÉ • Dans un contexte mondial marqué par des bouleversements politiques, des défis climatiques sans précédent, des inégalités sociales croissantes et des transformations technologiques rapides, existe-t-il encore de la place pour les religions? Pour le savoir, nous sommes allés à la rencontre de jeunes Vaudois issus de milieux, de cultures et de croyances diverses.

«Dieu est mort» écrivait le philosophe allemand Friedrich Nietzsche au XIXe siècle. Mais par qui, ou par quoi a-t-il été remplacé dans le cœur des jeunes aujourd’hui? «A la base de toute quête spirituelle, il y a un questionnement personnel», explique Marija Minarski, aumônière à Lausanne. 
Les aumôniers ont pour principale mission d’écouter, mais aussi d’accompagner les personnes qui se trouvent dans un trouble existentiel, dans le désarroi ou encore parfois dans la détresse. Ils se rendent ainsi régulièrement dans les prisons, les hôpitaux, la rue, les écoles, les gymnases ou encore les établissements médico-sociaux. 
Bien que de religion chrétienne, ils ne cherchent pas à évangéliser ceux qu’ils accompagnent. «Ce n’est ni l’objectif ni le moment, assure Stéphane Ernst, lui aussi aumônier à Lausanne. Nous sommes plutôt à l’écoute des autres, peu importe leur religion.»
Confrontés à la mort
Sur le terrain, ils se retrouvent face à des jeunes perdus. «Souvent, le décès d’un proche enclenche des questionnements profonds. Il arrive qu’ils se demandent alors: “A quoi ça sert que je me lève le matin pour venir étudier si on va tous mourir un jour?“ Nous cherchons à accompagner ce genre de questionnements.»
Selon l’aumônier, les jeunes d’aujourd’hui se passionnent toujours autant pour la religion. «Je ne dirais pas qu’il y a un désintérêt des jeunes, mais leur intérêt est différent. Certes nous les voyons moins à la messe du dimanche matin, mais il existe d’autres messes plus dynamiques qui ne désemplissent pas.» «Et puis, sur les réseaux sociaux, ils trouvent de nombreuses indications, embraie sa collègue Marija Minarski.Et ils n’ont pas forcément toujours besoin de se rendre dans un lieu physique pour pouvoir se ressourcer.»
Toutes les religions en recul
Jörg Stolz est professeur ordinaire à l’Institut de sciences sociales des religions (ISSR) à Lausanne et vient de réaliser une étude d’ampleur sur le recul des religions en Suisse. Lui et son équipe ont compté le nombre de groupes religieux présents en territoire helvétique en 2008 et en 2022. Résultat: une diminution de 7%, et un vieillissement des membres de ces groupes. «Environ la moitié des participants réguliers a aujourd’hui plus de 60 ans», nous dit l’étude.
Une piste pour expliquer ce vieillissement serait la transmission des parents aux enfants qui se serait enrayée. «C’est un fait de société difficile à expliquer, précise Jörg Stolz. Je suppose que les différents progrès techniques se sont substitués à beaucoup des préoccupations religieuses.» Le chercheur explique notamment que la santé et la médecine moderne ont certainement soulagé beaucoup de préoccupations qui pouvaient amener les gens à la religion.
«C’est pour moi que je le fais»
Il existe cependant encore des jeunes religieux dévoués. C’est le cas de Nathan, 19 ans, étudiant à l’EPFL et juif. Il a fait toute sa scolarité enfantine dans des écoles juives. Aujourd’hui, il prie au moins une fois par jour et samedi, jour du shabbat, trois fois. Il respecte aussi certaines règles le samedi. «Je m’abstiens d’utiliser du feu ou tout appareil électronique, comme le téléphone.» Pas si évident pour un jeune de 19 ans, lorsque les amis sont de sortie le samedi. «Je me suis habitué, et je fais cela pour me ressourcer, pour prendre une journée pour moi dans la semaine et décrocher du reste. Je passe ainsi du temps avec ma famille ou mes amis, et je me concentre sur d’autres choses.»
Un contexte compliqué
Une religion pas si évidente à assumer compte tenu de la situation internationale, tant passée que présente. «Je porte une casquette ou un bonnet par-dessus la kippa dans la rue, pas par peur, mais pour me protéger, précise Nathan. L’idée n’est pas de se cacher, mais de ne pas se montrer non plus.» Une discrétion qui s’est d’autant plus imposée après les évènements récents au Proche-Orient entre Israël et la Palestine. 
Notamment en mai dernier, lorsque des étudiants pro-Palestine ont manifesté et occupé l’EPFL.Ce qui a dérangé Nathan: «Je n’ai jamais été attaqué directement ou n’ai jamais subi de propos antisémites. Mais la violence des slogans, que je qualifierais d’antisémites, m’ont vraiment mis mal à l’aise.»
Si l’exemple de Nathan montre une forte implication dans sa religion, d’autres ont décidé de poursuivre un chemin différent. Hassan*, 32 ans, a grandi dans une famille d’origine égyptienne et de confession musulmane. «Mes parents ne nous ont jamais rien imposé, à moi et ma sœur.» Il se considère aujourd’hui comme un «musulman non-pratiquant». Un éloignement qu’il associe à la vie occidentale, à laquelle il s’identifie. «Je n’ai pas grandi en Egypte, où l’on entend l’appel à la prière dans la rue et où tout le monde pratique l’islam. Je ne fais pas les cinq prières quotidiennes mais je fête toujours le Ramadan et l’Aïd El-Fitr.» Il se voit même faire un jour le pèlerinage à La Mecque, mais pas tout de suite. «Je ne me sens pas assez sage pour le faire, et je crains que cela m’assaille de pensées négatives. Je pense qu’en étant plus vieux j’en reviendrai avec plus de bénéfices, ici les péchés gâchent toute la sagesse que je pourrais y trouver.»
Hassan est depuis sept ans le papa du petit Rashad*. S’est alors posée la question d’une éducation religieuse ou non pour son enfant. «Sa mère lui apprend le christianisme, et moi je lui apprends un peu l’islam, notamment en lui parlant arabe. Il choisira ensuite sa propre voie. Mais pour moi la langue est un support essentiel pour apprendre ses valeurs et ses origines.» Face à un père qui parle arabe, le petit Rashad rechigne parfois à répondre dans la langue de l’écrivain Al-Jahiz. Mais depuis que père et fils ont passé ensemble leurs vacances en Egypte, il est plus réceptif. Alors décidément, Dieu n’est peut-être pas si dépassé que cela… 
* prénom fictif, identité connue  de la rédaction 

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