«La CGN vit en ce moment une période plutôt agitée»

Rédigé par
Fabio Bonavita
Vaud

ENTRETIEN  • Confrontée à une longue série de couacs, la CGN navigue en eaux troubles. A la barre, son directeur Pierre Imhof tente tant bien que mal de maintenir un cap, celui d’une plus grande professionnalisation de la compagnie de navigation. 

Lausanne Cités: Avarie du Simplon, fin des croisières privées dès 2025, pénurie de personnel, retards et surcoûts dans la livraison des Naviexpress, est-ce qu’il y a encore un capitaine à bord de la CGN?
Pierre Imhof: La CGN fonctionne depuis 150 ans avec des périodes plus ou moins calmes. C’est vrai que nous vivons en ce moment une période plutôt agitée avec de nombreux inattendus. Cependant, l’immense majorité de nos passagers n’en ressent pas les effets: la saison touristique se passe très bien, le transport public est assuré. Je vous confirme  qu’il y a un capitaine à bord, mais aussi et surtout un comité de direction soudé qui a été passablement renouvelé ces dernières années.

Pourquoi un tel renouvellement?
L’entreprise avait besoin d’être davantage structurée car elle a beaucoup évolué. Il y a 20 ans, elle faisait principalement du transport touristique saisonnier et désormais elle assure en plus un service de transport public transfrontalier à l’année. Ce secteur représente trois quarts des voyageurs qui sont à bord de nos bateaux.      

Prenons les couacs dans l’ordre, l’avarie du Simplon en mars dernier a déjà été très commentée, vous avez mandaté une commission d’experts, quand leurs conclusions seront-elles connues?
Dans les semaines ou les mois qui viennent.

Les conclusions de cette commission vous inquiètent-elles?
Je suis serein car ses membres sont des personnes compétentes. Les conclusions de cette enquête permettront d’améliorer le fonctionnement de la CGN, je suis parfaitement conscient de certaines de nos faiblesses.

Lesquelles?
Nous manquons de procédures écrites, notre culture d’entreprise est surtout orale. Elle a très bien fonctionné durant de nombreuses années, mais il faut désormais aller vers davantage de structuration de l’entreprise. Nous y travaillons en ce moment.

Cette avarie vous a aussi permis de vous rendre compte que l’attachement à la flotte Belle Epoque, dont fait partie Le Simplon, reste intact… 
Oui, l’attachement émotionnel pour ces bateaux est énorme. Nous le savions déjà, notamment grâce aux campagnes de dons et autres récoltes de fond destinées à leur rénovation, mais cela fait toujours plaisir de constater que cet attachement ne faiblit pas. Ce que la population ignore parfois, c’est qu’une telle flotte demande énormément de maintenance.  

En avril, autre couac, vous annoncez que les Naviexpress ne seront pas opérationnels avant la fin 2024, soit un an après la date prévue. Qu’est-ce qui cloche?
La date de livraison initiale était trop optimiste. Concernant la construction des bateaux, mais aussi la période nécessaire pour la mise en exploitation, je pense notamment à la formation du personnel. Nous avons reçu le premier Naviexpress en janvier et le second à la mi-juillet, nous allons enfin pouvoir commencer la phase de formation des équipages.

Vous avez une date précise de mise en service du premier Naviexpress?
Elle aura lieu progressivement à partir du changement d’horaires le 15 décembre prochain. 

Quel sera le coût final d’un seul Naviexpress? Certains évoquent la somme de 40 millions de francs... 
Environ trente millions, mais il y aura un surcoût. En effet, les bateaux devront être modifiés car nous avons des problèmes de manœuvrabilité lorsque la météo est mauvaise. Des tests sont en cours pour déterminer l’option choisie et donc le coût final. 

Qui s’est planté? L’entreprise lucernoise Shiptec qui construit ces bateaux ou la CGN?
Il y a toujours une coresponsabilité.

Selon une source proche du dossier qui nous a contactés, la construction d’un bateau destiné aux pendulaires comme le Ville de Genève ne coûterait que dix millions. Toujours selon cette source, les Naviexpress représentent un gouffre financier en raison d’une opération de greenwashing menée par la CGN. Vous auriez pu construire huit bateaux pour le prix de deux Naviexpress…
Nous ne pouvons pas construire un bateau comme on le faisait il y a vingt ans. Il y a des plans climat, des normes différentes, nous devons nous adapter. De plus, les Naviexpress disposent de 600 places assises, plus du double de celles du Ville de Genève. Il est faux de comparer ces deux bateaux.

Miser sur une motorisation hybride fait sens pour une voiture dont la batterie se recharge dans les descentes, il n’y a pas vraiment de pente sur le Léman, non?
La motorisation hybride permet de produire de l’électricité en récupérant de l’énergie qui serait autrement transformée en chaleur. Les Naviexpress consomment moins que la flotte actuelle et vont durer plus de trente ans, ce qui explique le choix de cette technologie.

Comme le disait le président français Jacque Chirac «Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille». La preuve, en juin dernier, nous le révélions dans nos colonnes, la CGN décidait de mettre un terme aux croisières privées dès 2025 à cause d’une pénurie de personnel. Comment en est-on arrivé là?
Nous avions déjà diminué le nombre de croisières privées en 2023 à cause des heures supplémentaires de notre personnel produites durant la haute saison. Etant soumis à la loi sur la durée du travail, nous devons restituer ces heures supplémentaires, en salaires, mais aussi en temps. Ce qui implique que nous devons diminuer le nombre d’heures de navigation, d’où l’arrêt des croisières privées l’an prochain. Nous devons en outre produire la même offre avec un bateau de moins (Le Simplon). Notre objectif est de les réintroduire, mais pour cela nous devrons avoir suffisamment de bateaux et des équipages dédiés. Ceci prend un peu de temps.

Les couacs sont terminés?   
Quand on navigue avec des bateaux qui ont plus de cent ans, on n’est jamais à l’abri d’un imprévu. La moindre panne peut déstabiliser toute l’entreprise.  

Vous avez repris la direction de la CGN le 1er février 2023, à deux ans de la retraite, vous pensiez pouvoir naviguer sur un lac calme et vous affrontez tempête après tempête, avez-vous eu envie de tout plaquer?
Non, parce que j’ai le sens des responsabilités. Si j’avais voulu terminer ma carrière tranquillement, j’aurais fait autre chose. Je savais que ce poste ne serait pas de tout repos, mais il s’est avéré encore plus agité que ce que j’imaginais.

Vous partirez l’an prochain?
J’aurai 65 ans en 2025 et je quitterai donc mes fonctions l’an prochain. 

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