NOËL • Moment idéalisé, réalité décevante, pression sociale, nostalgie de l’enfance, blessures enfouies… Les émotions jouent les équilibristes autour de la table festive, jusqu’au risque d’explosion. Trois psychologues livrent leurs pistes de réflexion.
La fête de Noël est souvent fantasmée. En comptant avec les guirlandes et autres décorations installées dans les rues dès le mois de novembre, on imagine seulement le féérique. «Mais au-delà de la magie qui nous ramène à l’enfance, la réalité vient forcément contrarier cette vision idéalisée, car rien n’est jamais parfait, relèvent les experts. Si l’on n’y prend pas garde en prenant un peu de recul, on risque la déception, la frustration et le coup de blues qui va avec.»
L’injonction au bonheur
Durant cette trêve festive, s’y ajoute l’injonction au bonheur qui devient une source d’angoisse et en déprime plus d’un. C’est une contrainte et vraie norme sociale qui pousse à baigner dans la traditionnelle vague d’amour, d’harmonie et de bienveillance et incite à donner le meilleur de soi-même. «Le fait que tout doit bien se passer parce que c’est Noël peut être source d’appréhension et de stress», observe Paul Leprévost, psychologue clinicien exerçant à Morges et Lausanne, qui voit augmenter le nombre de ses consultations en fin d’année.
Etre la mère parfaite qui a pensé au dessert préféré de la tante, avoir des enfants qui gazouillent paisiblement au pied du sapin, mettre toutes les contrariétés en pause, voilà ce qui est attendu. La peur de Noël, avec son repas à six plats, la course aux cadeaux, le sentiment d’obligation, l’envie de vouloir bien faire mais la crainte de ne pas être à la hauteur porte même un nom: la natalophobie.
La famille idéale, un mirage
«Le rêve du Noël magique va de pair avec le mirage de la famille idéale, à la fois refuge et havre de paix qui peut susciter des attentes très fortes», explique Véronique Prades, thérapeute et coach de vie à Lausanne. Dans toutes les familles, il y a des sujets délicats. Malgré toute la bonne volonté du monde, il est parfois difficile d’échapper à la résurgence de malentendus, de disputes passées, de vieilles rancunes enfouies».
«Il y a aussi les blessures de l’enfance (l’impact d’un divorce ou d’une situation conflictuelle au sein du foyer, un favoritisme parental, des injustices, des rivalités dans la fratrie, le décès d’un parent…), indique Antonia Frei, psychologue à la Clinique de la famille, de l’enfant et de l’adolescent, à Genève. Autant d’expériences non exprimées par peur du rejet.» Autour de la table festive, l’alcool aidant, les émotions non résolues peuvent s’exacerber. Des piques s’échangent et on se retrouve à régler ses comptes autour de sujets hautement inflammables.
Contre les cocktails explosifs
On l’a compris. Cette période contient tous les ingrédients générateurs de malaises. En comptant avec le solstice d’hiver qui marque l’heure des bilans, tout est réuni pour un cocktail qui peut devenir explosif. Afin de préserver l’unité du groupe, mieux vaudrait anticiper les différends, soit par une discussion avec la personne concernée soit par un travail thérapeutique. A défaut, les psychologues interviewés nous proposent des solutions et astuces pour gérer au mieux ce moment festif particulier:
-Avoir des attentes réalistes pour profiter simplement de cette parenthèse partagée.
-Ne pas souscrire à la pression de la perfection.
-Boire modérément.
-Eviter les sujets sensibles et ceux susceptibles de provoquer des conflits: les problèmes familiaux, l’argent, la politique évidemment, la religion ou encore l’éducation des enfants…
-S’octroyer un bol d’air durant le repas peut suffire à apaiser son stress.
-Face à une attaque frontale, répondre tout simplement par «Je comprends» ou «J’entends ce que tu me dis» et proposer d’en parler plus tard.
-Un repas au restaurant permet de ne pas tirer en longueur.
-Dans les familles recomposées ou séparées, planifier les festivités à deux dates différentes permet à tous de vivre pleinement la magie de Noël.
-Un repas canadien où chacun apporte un mets suscite d’emblée un esprit de partage.
-«J’ai la grippe», «je pars en vacances. Cette année, Noël, ce sera par Whatsapp.» Toute excuse est bonne pour échapper à la réunion familiale.
Crever l’abcès
Il n’est jamais trop tard pour s’exprimer. Quand l’abcès est crevé, la relation n’en sera que meilleure. Une fête qui s’est mal passée peut déclencher l’envie d’entreprendre une psychothérapie individuelle ou familiale. «Il est important de déposer ses blessures», note Antonia Frei. «C’est un temps de conscientisation constructif qui permet d’apprendre à vivre avec son passé», souligne Véronique Prades.
Petit florilège des phrases à éviter
«Il me semble que tu as pris un peu de poids depuis l’année dernière»
«Ah non, ne mange pas le gâteau, il y a du beurre dedans»
Au végétarien: «Je t’ai fait une salade géante. J’espère que cela te suffit» (non ça ne suffit pas)
«C’est bon, mais ça manque de…» (Tout commentaire négatif sur la dinde ou la bûche est exclu. C’est un réel manque de savoir-vivre, note Dominique Picard, psychosociologue, auteure de «Politesse, savoir-vivre et relations sociales», éd. PUF)
«Tu devrais prendre exemple sur ton frère» (au nombre des comparaisons toxiques…)
«Tu as toujours ces mêmes problèmes au travail?»
«Cela vous dérange si je vais regarder la télé?»
«Mais qu’est-ce que tu en sais? Tu y étais? Alors!»
«Tu es allé à l’Université? Non? Bon…»
(Au moment où le foie gras est servi): «Le foie gras et la souffrance animale, vous y pensez?»
A la tante Louise qui est au régime: «Allez, encore un petit morceau, ce n’est rien». «Mais tu blagues, tu n’as rien mangé!»