
BÂTI • La démolition prévue de deux bâtiments historiques suscite une forte levée de boucliers. Des habitants craignent un effet domino dans un quartier convoité par les promoteurs.
Le tranquille quartier résidentiel des Fleurettes, à Lausanne, s’agite depuis la pose de gabarits autour de deux bâtiments historiques. Un développeur immobilier veut remplacer les maisons des années 1920 situées côte à côte aux chemins de Fontenay 3 et du Mont-Tendre 19 par un seul immeuble comprenant dix-neuf logements.
Porté par l’entreprise lausannoise Senzi SA, le projet a été mis à l’enquête publique le 18 mars dernier. Il fait face à l’hostilité d’habitants, pour des raisons patrimoniales et de vivre ensemble. Une trentaine de riverains se sont réunis fin mars pour préparer une salve d’oppositions. Ils peuvent compter sur le soutien de Patrimoine Suisse, qui a déjà déposé la sienne. Leur argument principal est que les deux villas sont emblématiques d’un secteur récemment classé site d’intérêt prépondérant (note 2) par le Canton de Vaud. Délimité par la ligne de chemin de fer au nord, le chemin de Fontenay à l’ouest et l’avenue de Milan au sud, il est aussi relevé par l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse, avec un objectif de sauvegarde maximal (ISOS A). Le recensement architectural cantonal souligne «la qualité exceptionnelle» et l’homogénéité du quartier, caractérisé par ses maisons et immeubles entourés de jardins arborés.
«Gentrification»
Pour ses adversaires, la construction envisagée va «défigurer» les lieux. Ils estiment qu’une rénovation aurait été possible et dénoncent une «gentrification» menaçant le tissu social. Certaines familles qui doivent être expulsées vivaient là depuis plus de vingt ans.
Directeur de Senzi SA, Jacques Secnazi répond aux critiques. «Pour favoriser l’intégration du bâtiment, nous nous sommes inspirés des détails architecturaux des alentours», explique-t-il. Il assure que les loyers ne seront pas «prohibitifs» comme l’affirment les opposants et qu’une partie des logements sera d’utilité publique. Le nombre d’appartements sera plus que doublé par rapport à aujourd’hui, relève-t-il. Reste qu’ils seront petits, de 2 ou 3 pièces pour la plupart selon les plans actuels. Le directeur dit vouloir attirer des couples ou familles monoparentales. Quant à une éventuelle réfection des villas existantes, il répond s’être posé la question mais que celles-ci sont «des passoirs énergétiques plus du tout aux normes». «Nous ne sommes pas convaincus qu’il s’agisse de pièces de musée qu’il faille protéger à tout prix.» Une séance d’information est prévue sur place le 10 avril.
Les riverains redoutent que ce projet fasse tache d’huile. Le quartier, en zone de forte densité et proche de la gare, subit une grosse pression immobilière. Les propriétaires disent recevoir des propositions chaque semaine pour leur bien. «Les aigles rôdent», ironise une habitante en parlant des promoteurs.
Vers une protection?
La mise à l’enquête ne garantit pas l’octroi d’un permis de construire. Le Canton doit statuer, mais la commune aura le dernier mot. Pour l’instant, ni le site, ni les bâtiments concernés ne sont formellement protégés.
Mais la situation pourrait radicalement changer dans les mois qui viennent: une procédure de protection par inscription à l’inventaire cantonal sera prochainement lancée. Si elle aboutit, elle compliquera fortement toute démolition future. La Municipalité ne veut pas se prononcer sur un dossier en cours. Le syndic, Grégoire Junod, indique toutefois qu’elle «est très attentive à la préservation du patrimoine» et qu’elle «suit de près l’évolution de la procédure».