Faut-il revenir au nucléaire? Deux élus lausannois croisent le fer

Rédigé par
Fabio Bonavita
Société

DÉBAT• Actée par le peuple en 2017, la sortie du nucléaire est remise en question depuis la guerre en Ukraine et l’explosion de nos factures d’électricité. A Lausanne aussi, le débat autour de l’atome a repris de plus belle. Faut-il construire de nouvelles centrales? Ilias Panchard, conseiller communal Vert et président de «Sortir du Nucléaire», et Pauline Blanc, conseillère communale PLR et membre du comité d’initiative «Stop au blackout» croisent le fer. 

Lausanne Cités: De nouvelles centrales nucléaires vont être construites en France, aux Pays-Bas, en Pologne, aux Etats-Unis ou encore en Chine. Pourquoi la Suisse ne suivrait-elle pas le mouvement?
Ilias Panchard: Dans cette liste, il y a beaucoup de pays qui ont une industrie nucléaire vieillissante, je pense à la France et à la Chine notamment, il est normal qu’ils cherchent à développer l’énergie atomique car leur économie en dépend. C’est un peu le chant du cygne de cette industrie qui, de manière discrète, reporte ses investissements sur le renouvelable, se rendant bien compte que l’avenir n’est pas dans l’atome. Pour ce qui est de la Suisse, les grands groupes comme Axpo, Alpiq ou BKW affirment clairement ne pas vouloir construire de nouvelle centrale nucléaire. Donc le marché enterre lui-même cette technologie.
Pauline Blanc: Je ne suis pas d’accord. Une alliance de droite, dont fait partie le PLR, a déposé  l’initiative populaire «De l’électricité pour tous en tout temps (Stop au blackout)» munie de 129’000 signatures. La preuve que la population suisse est prête à rouvrir le débat.

C’est ce que confirme un récent sondage réalisé par Tamedia, 53% des Suisses seraient favorables au nucléaire…
Pauline Blanc: Ce n’est pas surprenant. Sans nucléaire, nous ne pourrons atteindre les objectifs climatiques de notre pays en 2050. Il faut investir dans les énergies renouvelables, mais aussi dans de nouvelles centrales, ce n’est pas antinomique. Et le nucléaire a énormément d’avantages, une production d’énergie décarbonée en grandes quantités et à faible coût. 
Ilias Panchard: On sort d’une crise énergétique suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie donc la population se dit qu’il faudrait mettre toutes les chances de notre côté pour éviter une pénurie, ce qui peut se comprendre. Mais quand on investit dans le nucléaire, on met de côté le renouvelable. C’est ce qui se passe en France, qui construit de nouvelles centrales, mais délaisse l’hydraulique, le solaire ou l’éolien.

Se priver du nucléaire suite à Fukushima était d’abord une décision émotionnelle. La politique c’est autre chose, non?
Pauline Blanc: En 2016, la population helvétique a voté dans un contexte anxiogène, nous avons changé de paradigme. 
Ilias Panchard: Le contexte n’était pas anxiogène, l’accident de Fukushima s’est produit en 2011, soit cinq ans avant la votation sur la stratégie énergétique 2050.

Il n’y a pas de risque d’accident avec un barrage? Le 9 octobre 1963 dans la vallée du Vajont, au cœur des Dolomites, un pan de montagne tombe dans le barrage provoquant la mort de plus de 2200 personnes…
Ilias Panchard: Toute production d’énergie représente un certain risque pour la population. Un séisme pourrait aussi provoquer la rupture d’un barrage, ce genre de choses ne peuvent être entièrement anticipées. Si on prend les 500 réacteurs nucléaires dans le monde, on recense cinq accidents majeurs, soit 1%. Ce qui est énorme. Personne n’oserait  monter dans un avion si on avait 1% de risques de se crasher.
Pauline Blanc: Le risque nucléaire est drastiquement réduit avec les centrales de nouvelle génération. Il faut également continuer à exploiter les centrales actuelles, quitte à effectuer des rénovations ponctuelles pour étendre leur durée de vie. En parallèle, des investissements doivent être faits dans la recherche de nouvelles technologies nucléaires.  

Si une nouvelle centrale est construite un jour, où la voyez-vous?
Pauline Blanc: Je n’ai pas une réponse toute faite. Mais cela ne doit pas être un frein, il faut savoir rester ambitieux. Les gens ne veulent pas de centrales, mais ils ne veulent pas non plus d’éoliennes à côté de chez eux. 

Le conseiller fédéral Albert Rösti a évoqué le site de Mühleberg, dans le canton de Berne, là où une ancienne centrale a été arrêtée en 2019. Une future centrale à une heure de la capitale vaudoise, la population lausannoise aurait de quoi être inquiète?
Ilias Panchard: Avec un météorologue genevois, nous avons réalisé de nombreuses simulations du déplacement d’un nuage radioactif en cas d’accident nucléaire. Etant donné la taille réduite de notre pays, un tel nuage contaminerait l’ensemble du Plateau suisse, y compris évidemment la ville de Lausanne.
Pauline Blanc: Il ne faut pas être alarmiste et imaginer la Suisse comme isolée. Le risque existe également en cas d’accident nucléaire en France par exemple.

Avec la ribambelle d’oppositions qu’un tel projet susciterait, peut-on espérer construire une nouvelle centrale avant 2070?
Pauline Blanc: C’est un risque à prendre. Il a bien fallu attendre 25 ans avant de pouvoir installer six éoliennes à Sainte-Croix. Il faudrait compter à peu près 20 ans pour une nouvelle centrale, ce qui reste raisonnable.

Sans oublier, l’éternel problème des déchets du nucléaire, problème qui n’a toujours pas été véritablement résolu…
Pauline Blanc: Je ne suis pas d’accord, la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (Nagra), en charge de cette gestion, a identifié des sites de stockage en couches géologiques profondes.

La transition énergétique est en marche, de nouvelles technologies photovoltaïques ou éoliennes se développent, pourquoi ce ne serait pas suffisant pour couvrir les besoins de la population?
Ilias Panchard: Si on s’attarde sur les chiffres, l’hydraulique représente 60%  de la production d’électricité, le nucléaire 30% et les 10% sont produits par le solaire et l’éolien notamment. En sachant que le solaire est en plein boom, le nucléaire peut tout à fait être remplacé à terme par les énergies renouvelables. Entre nucléaire et énergies renouvelables, il faut choisir.
Pauline Blanc: C’est bien joli, mais la vraie question est celle des coûts. Selon l’Office fédéral de l’énergie, pour le nucléaire le kW/heure coûte entre 5 et 12 centimes, pour les grandes centrales hydrauliques entre 7 et 30 centimes, pour les éoliennes entre 15 et 20 centimes et entre 10 et 26 centimes pour le solaire. On voit très clairement que le nucléaire est moins cher, beaucoup moins cher. C’est un élément fondamental pour l’avenir car la population en a marre de voir sa facture énergétique augmenter. 
Ilias Panchard: Vos chiffres sont biaisés car ils ne tiennent pas compte des coûts de démantèlement des centrales et de traitement des déchets. Il faut aussi rappeler que l’idée est de réduire le gaspillage d’énergie et d’augmenter l’efficacité énergétique. C’est aussi un levier qui devrait faire l’objet d’un programme national. 

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