Eva et Ania Bloch: à la vie, à la mort…

Rédigé par
Laurent Grabet
Société

DRAME • En perdant sa fille unique Eva en octobre 2022 suite à un accident de voiture, Ania Bloch a connu l’horreur. Aujourd’hui, la Lausannoise poursuit son deuil, habitée d’une belle leçon de vie... Témoignage.

Ania et Eva. Eva et Ania. Elles étaient indissociables comme seules peuvent l’être une mère et sa fille de neuf ans dont la relation avait été trempée dès l’origine dans l’amour inconditionnel et la présence consciente l’une à l’autre... Mais un funeste jour d’octobre 2022, Eva a été victime d’un grave accident de la route en Bourgogne avec son papa, alors qu’elle se rendait dans sa famille. 
Quinze jours après, au CHUV, ses parents n’avaient d’autre choix que de la débrancher, tant son état était grave et irréversible. Aujourd’hui, Ania Bloch, 47 ans, essaye de «mettre du sens là où il n’y en a pas», tout en esquivant le piège récurrent de ces «si» qui torturent en empêchant d’accepter ce qui est. La Lausannoise incarne la résilience même si ce n’est évidemment pas facile tous les jours. «La période des fêtes de fin d’année a été particulièrement difficile», confie-t-elle pudiquement. 
Aujourd’hui, dans son quartier de Sévelin, une boîte à livres pas comme les autres témoigne d’Eva, cette petite fille si éveillée, si lumineuse et si empathique qui adorait la vie et la lecture, «mais n’aimait pas trop les écrans et les selfies qui nous coupent les uns des autres». On la voit depuis le balcon de l’appartement d’Ania Bloch où elle nous a reçus. «Cette cabane est un prétexte à parler avec les parents et les enfants qui s’arrêtent là, confie la quadragénaire. J’y organise parfois des lectures. Elle me sert de support pour évoquer Eva et ça me fait du bien. C’est souvent pour moi une manière de dire à ces gens sans vraiment le leur dire: profitez les uns des autres…» Eva adorait lire. Elle avait appris quasiment toute seule à seulement quatre ans. «Elle lisait des histoires aux voisins avec une joie des mots contagieuse. C’était magique. Mais je continuais malgré tout à lui lire des histoires tous les matins avant l’école. C’était notre petit rituel…»
Des dessins prémonitoires…
La chambre de la disparue est restée comme si elle l’avait quittée hier. Le processus de deuil suit son cours. «La veille de l’accident, Eva avait laissé là un dessin avec le mot ‘’hélicoptère’’ écrit plusieurs fois. Avec le recul et son héliportage à Dijon, puis au CHUV, c’est troublant! Est-ce que son âme savait déjà?» 
L’été précédent, la petite avait fait un dessin effrayant, tranchant avec son style habituel. «Puis elle avait lancé à l’ami chez qui nous étions alors: ‘’il faut que tu nous protèges!’’». La petite fille s’intéressait beaucoup à la spiritualité et aux religions. Sa mère, élevée par un père juif mais athée, s’y était mise aussi par la force des choses. «Eva me disait parfois: ‘’Maman! J’aimerais bien que tu te convertisses au judaïsme comme ça je serai juive!’’», raconte la Lausannoise. 
En octobre, elle a d’ailleurs entrepris un parcours de conversion. «Me reconnecter ainsi à une partie de mes origines m’aide à donner du sens et cela a aussi un effet curatif dans le sens où cela m’aide à focaliser mon attention», explique celle qui est art-thérapeute indépendante de métier.
Eva était «une enfant plus que désirée», arrivée sur le tard, à l’issue d’un long processus d’insémination artificielle. Ania Bloch et son ex-mari l’avaient accueillie comme un cadeau inespéré. Aujourd’hui, avec le soutien de son compagnon, des deux grands enfants du papa d’Eva et de ses amis, la quadragénaire parvient à cultiver «une sorte de gratitude» d’avoir pu partager neuf années aux côtés de sa fille. En écoutant la Lausannoise, on comprend que l’être humain peut parfois se relever de tout. «Jamais je n’aurais imaginé pouvoir tenir encore debout après la mort de ma fille unique…» lâche-t-elle d’ailleurs comme une confirmation. Bien sûr la colère et la révolte viennent aussi la visiter. 
«‘’Pourquoi moi? Pourquoi notre famille?’’… Ce sont des questions que je me pose souvent… La deuxième année de deuil a été plus difficile encore que la première. Le matin, je me réveille tremblante, mais j’arrive à tenir en restant dans l’action», explique celle qui propose une exposition de ses toiles à l’hôpital de  Chamblon jusqu’à la mi-mars. Sur ces œuvres colorées, la disparue est omniprésente.
Une leçon de vie
Ania Bloch est reconnaissante d’avoir pu dire au revoir à sa fille. «Je lui ai dit: ‘’grâce à la science, tu as pu venir au monde mais hélas, la science a ses limites’’. On ne communiquait plus qu’avec les yeux car Eva était cassée à l’intérieur, notamment au niveau de sa moelle épinière. Je lui avais lu plusieurs histoires sur le deuil alors à l’heure dite, on a imaginé ensemble le chemin. Une barque, une rivière à traverser, des animaux à nos côtés et une lumière tout au bout. Je lui avais dit: ‘’mais je ne pourrai pas faire tout le voyage avec toi.’’ Elle est partie apaisée dans mes bras. Son visage d’ange rayonnait.» De ce 31 octobre 2022, Ania Bloch a ramené un souvenir et un conseil: «Parfois en prenant le bus avec Eva, on croisait des parents vissés sur leur natel alors qu’ils étaient avec leurs enfants à peine sortis de l’école. Ils ne se disaient rien et ça la désolait… Soyez complètement là pour vos enfants au moins à certains moments. La vie est si fragile…»  n

Ania Bloch fera des lectures publiques à «La cabane d’Eva», av. de Sévelin 4c, les mercredis 19 mars et 21 mai à 17h. Un apéritif suivra. 
 

«Mettre du sens à de tels deuils constitue une grande aide» 

L’association Arc-en-Ciel, fondée voici 35 ans, aide les parents ayant perdu un enfant à se reconstruire. Anne-Catherine Baudin qui anime son groupe de parole lausannois un jeudi soir par mois, rappelle que ces drames restent tabous: «Le sol se dérobe sous nos pieds. Les manières de le vivre sont très variées, tout comme les situations et selon les personnes: mort en bas âge, suicide, maladie, accident. «Il n’y a pas de schéma type pour traverser cette épreuve mais pouvoir parler à des proches ou avec des gens d’un groupe d’entraide est une grande aide. On se sent porté et moins seul. Cela demande toutefois déjà d’avoir fait un bout de chemin. Parler de lui dans un groupe de parole permet de redonner une place à l’enfant disparu. C’est souvent réconfortant mais aussi confrontant, car il faut aussi accueillir sa colère et sa révolte ainsi que le chagrin des autres. Cela prend toujours du temps d’accepter. Il faut apprendre à vivre avec et il n’y a malheureusement pas de baguette magique pour cela. La blessure sera toujours là. Donner du sens en concrétisant un projet (de marque de vêtement) comme le fit à l’été 2023 la maman d’Isaac (ndlr: un ado lausannois de 15 ans décédé dans un accident de la route en 2023 à Savigny) aide à se reconstruire». Citons aussi l’association Zoé 4 Life, qu’avaient lancée les parents de la petite Zoé, décédée d’un cancer en 2013. «Lorsque l’on traverse de telles tragédies, peu de gens comprennent ce que l’on vit. Certaines remarques peuvent même plus blesser qu’aider comme le fameux: ‘’il faut tourner la page et avancer!’’ Aux proches, je conseille donc simplement d’être là et à l’écoute ou prêts à soulager ceux qui sont dans le deuil par des actes concrets du quotidien».

www.association-arc-en-ciel.ch
www.isaac-isaac.com
www.zoe4life.org
www.deuil-perinatal.ch

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