«Depuis mon agression, je n’ai plus de vie»

Rédigé par
Fabio Bonavita
Lausanne

TÉMOIGNAGE • Victime d’un vol à l’arraché le samedi  11 janvier vers 18h, alors qu’elle se promenait aux abords du parc de Milan, Jacqueline*, 68 ans, a accepté pour la première fois de revenir sur son agression et ses nombreuses séquelles, tant physiques que psychologiques.

C’est une femme meurtrie qui nous reçoit dans son appartement lausannois. Bien que le poids de sa douleur soit encore très présent, elle a choisi de briser le silence, animée par la volonté de sensibiliser les femmes de son âge. Elle souhaite leur faire prendre conscience qu’une simple balade peut parfois se transformer en un véritable cauchemar.

Lausanne Cités:Est-ce que vous pouvez nous raconter ce qui s’est passé ce soir du 11 janvier?
Jacqueline*: Oui, volontiers. Je revenais du cinéma, il était un peu plus de 18h. Je marchais sur le trottoir éclairé qui longe le parc de Milan quand j’ai croisé un homme d’une quarantaine d’années vêtu d’une capuche. Il faisait froid, cela ne m’a pas inquiétée outre mesure. Arrivé à ma hauteur, cet individu a bondi sur mon sac à main, il l’a arraché et c’est à ce moment-là que je suis tombée.

Aviez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel avant l’agression?
Non, vraiment rien. Au contraire, j’évite toujours de traverser le parc de Milan quand il fait nuit car il n’est pas éclairé, donc pour me sentir en sécurité, j’ai pris pour habitude d’opter pour le trottoir quand je rentre chez moi. Ce soir-là, je n’ai absolument rien vu venir.  

Vous devez votre salut aux passants qui sont parvenus à faire fuir, puis maîtriser, votre agresseur…
Oui, j’ai directement hurlé et appelé à l’aide. Cela m’a paru être une éternité. Un joggeur est venu tout de suite à mon secours, il a appelé la police, et alors qu’il passait son coup de fil, une dame est arrivée avec mon sac à main. Mon agresseur avait été maîtrisé par d’autres passants sur place, ce qui a permis à la police de l’arrêter. Il est actuellement en prison et risque entre six mois et dix ans de détention pour brigandage.

Un mois après votre agression, comment vous sentez-vous?
Même si je pleure souvent, je me bats chaque jour pour retrouver ma vie d’avant. Avant l’agression, j’étais très sportive. Malgré mes 68 ans, je fréquentais régulièrement le fitness et me déplaçais toujours à pied dans Lausanne. Aujourd’hui, cela n’est plus possible.

Pourquoi?
Lorsque mon agresseur a arraché mon sac, je suis tombée. J’ai eu l’épaule fracturée et de nombreux hématomes. J’ai été opérée et hospitalisée pendant neuf jours, mais les séquelles sont encore bien présentes: j’ai une main qui est presque inutile et des douleurs persistantes à l’épaule. Mon chirurgien m’a dit qu’il faudrait attendre plusieurs mois pour voir une amélioration, sans garantie de retrouver ma motricité d’avant. Je reste optimiste, je n’ai pas le choix.

Vous enchaînez les rendez-vous médicaux?
Oui, je dois voir l’ergothérapeute, le physiothérapeute, sans oublier mes rendez-vous chez l’orthopédiste et le chirurgien de la main qui m’a opérée. Je passe une grande partie de la semaine en rendez-vous. Je n’ai plus de vie, car la douleur m’empêche même de profiter de moments simples, comme une promenade au soleil…

Vos nuits doivent être compliquées…
Terribles. Je dors un moment sur le dos, puis je me réveille et vais chercher de la glace dans mon frigo pour soulager mes douleurs, car je préfère éviter les médicaments trop forts. Je me recouche, mais me relève une heure après. Mes nuits ne sont qu’une succession de siestes interrompues par mes nombreuses souffrances.

Et il y a aussi le choc psychologique…
Ce n’est vraiment pas ma priorité pour l’instant. J’essaie d’abord de régler mes problèmes physiques. Le moment viendra, plus tard, de repenser à la brutalité de mon agression.

Quel est le sentiment qui domine? 
La peur de rester invalide…

Envisagez-vous de modifier vos habitudes après cette agression?
Je n’emprunterai plus jamais ce chemin la nuit. Désormais, je prendrai systématiquement le bus pour rentrer chez moi. Je tiendrai aussi mon sac plus fermement contre moi et ferai preuve d’une vigilance accrue, même si, ce soir-là, je n’ai rien fait de mal.

Pourquoi prendre la parole aujourd’hui, un  mois après les faits?
Pour sensibiliser les gens. Leur faire comprendre que cela peut arriver à tout le monde, même à Lausanne. La ville a beaucoup changé ces dernières années: il y a de plus en plus de mendiants agressifs, et les femmes, surtout, doivent redoubler de vigilance. La violence peut survenir à tout moment.

Justement, la Ville vient de lancer une application permettant aux femmes de solliciter de l’aide en cas de menace dans la rue. Vous aurait-elle été utile le samedi 11 janvier ?
Absolument pas. 

Hasard du calendrier, peu après votre agression, le Conseil communal de Lausanne acceptait un projet, refusé ensuite par le syndic, d’une police sans arme. Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris cette information?
Sincèrement, j’ai été choquée. Si on enlève leur arme aux policiers, les citoyens ne seront tout simplement plus protégés. Ce serait la porte ouverte à tous les abus. n

*prénom fictif, identité connue  de la rédaction 

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