Un hiver très morose pour la scène musicale lausannoise

Rédigé par
Thalie Schmidt
Lausanne

CULTURE • A la suite de dégâts techniques, le café-théâtreLe Bourg s’est soustrait à la rentrée culturelle de septembre. Sinistre écho au sort qu’a subi le Romandie quatre ans plus tôt. Une fin d’année qui s’annonce privée de ces deux adresses à la programmation alternative. Quels enjeux ce creux soulève-t-il pour le milieu des musiques actuelles?

Le Bourg, club lausannois emblématique, n’a pas célébré sa traditionnelle réouverture automnale. Il a renseigné sur sa page Instagram, le 17 août dernier, une fermeture indéterminée. La coupable présumée: une infiltration d’eau ayant mis à mal ses sous-sols. L’association du Romandie, autre figure lausannoise de la scène musicale émergente, a quant à elle annoncé la réouverture de ses locaux pour 2025. Les mois froids, moins propices aux événements en plein air, s’annoncent donc rudes pour les musiques actuelles car l’absence des ces deux points de chute festifs n’est pas sans répercussions pour les musiciens indépendants et leurs publics.

Un fort engagement bénévole
Entre arts vivants, beaux-arts et musique, le chef-lieu vaudois se targue d’un riche paysage culturel, composé à la fois d’institutions, de hautes écoles et de projets indépendants. «On compte plusieurs types de lieux qui accueillent du live à Lausanne, tels que de petites scènes acoustiques ou des salles adaptées aux orchestres», détaille Antoine Ducommun, musicien indépendant et membre de Portamento, l’association qui avait récemment repris la programmation live du Bourg. «Il y a cependant peu de scènes de taille intermédiaire, telles que le RKC à Vevey, ou le Ned à Montreux, qui offrent un cadre professionnalisant à des projets qui ne sont rattachés ni à une institution ni à un label». Le jeune homme poursuit en expliquant que la sphère alternative lausannoise compte un grand nombre d’acteurs bénévoles. 
L’association Portamento dont il fait partie en est un exemple, elle a vu le jour à la suite d’un concert donné au Bourg, en 2022, par son groupe Turquoise Yachting Club. «L’établissement employait une équipe de programmation électronique et a proposé à Miguel Chora, notre claviériste, de s’occuper de la programmation live», ajoute le musicien. «C’est ainsi, qu’en 2023, s’est fondée Portamento». L’une des caractéristiques de la scène musicale alternative lausannoise résiderait ainsi dans la multiplicité des rôles endossés par ses acteurs. «Faute d’un statut d’intermittent du spectacle en Suisse, les musiciens indépendants cumulent souvent plusieurs activités: projets musicaux, engagement associatif et travail alimentaire», observe Antoine Ducommun. 
Les genres émergents reposent alors essentiellement sur les subventions qui sont allouées tant aux artistes qu’aux salles pouvant les accueillir. Une étude menée par Petzi et la FCMA (Fondation romande pour la Chanson et les Musiques Actuelles) vient d’ailleurs appuyer la disparité des moyens octroyés. Ladite étude souligne notamment que les genres musicaux plébiscités par les institutions publiques ne reflètent pas entièrement la diversité des goûts des publics. 

Une créativité au rendez-vous
Les musiques actuelles, comme les sous-genres du rock, de l’électronique ou encore les musiques expérimentales, seraient alors sous-représentées dans les programmations subventionnées comparé aux musiques classiques. «A défaut de Vevey, La Chaux-de-Fonds ou Genève, Lausanne a relativement peu d’infrastructures et d’initiatives destinées au tissu musical indépendant», ajoute Stefano Bianchi, lui aussi membre de Portamento et très investi dans le milieu culturel.
Ces témoignages soulignent un décalage entre l’offre musicale institutionnalisée et les scènes alternatives. Ces dernières puisent alors une grande partie de leurs ressources dans l’investissement bénévole de ses acteurs. L’effervescence culturelle lausannoise ne repose pas plus sur une scène musicale que sur une autre, souligne cependant Antoine Ducommun. «Les infrastructures institutionnalisées sont indispensables aux étudiants des hautes écoles de musique. Il ne faudrait simplement pas qu’elles gomment les lieux dédiés à l’expérimental, au punk ou à l’alternatif. Il s’agirait ici de travailler à un équilibre des budgets et des ressources». 
Des considérations dont la Ville tient compte selon Michael Kinzer: «Il y a eu ces dernières années un renfort affirmé de notre politique de soutien aux musiques actuelles avec, notamment, des augmentations de subventions, la facilitation des demandes de soutien pour les artistes émergents, la concrétisation de 29 nouveaux locaux de répétitions et la mise à disposition de locaux administratifs dédiés à l’industrie musicale.» Le paysage culturel est tout sauf statique et compte, en plus de ses adresses permanentes, de nombreux rendez-vous ponctuels, rappelle Michael Kinzer. «Au sein des festivals organisés dans Lausanne et ses environs, se trouvent des directions artistiques moins conventionnelles qui jouent un rôle de soutien aux niches musicales». Les line-up d’évènements comme le festival de Sévelin, le Prémices Festival ou encore le Festival de la Cité témoignent de la vitalité du tissu musical local. Des manifestations qui rassemblent un public certain dont Guillaume Curchod, membre et co-
programmateur de la radio indépendante Loose Antenna, fait partie. Le jeune adepte de concerts témoigne de son ressenti du paysage romand: «La région lausannoise offre de riches points de rendez-vous pour les amateurs de musique expérimentale et pointue, telle que celle mise à l’affiche par l’association du Salopard qui programme hors-les-murs depuis plusieurs années», partage le jeune homme. «Les clubs à la programmation électronique sont, quant à eux, actuellement plus nombreux et diversifiés à Genève qu’à Lausanne», poursuit ce dernier. «Pour le metal aussi, Lausanne manque de salles à taille intermédiaire. On se retrouve à aller fréquemment aux Caves du Manoir àMartigny.»  
Nouvelles initiatives
Dans un tel contexte, et notamment lors de mois froids, l’absence momentanée du Bourg et du Romandie, se fait ressentir. Ces deux clubs n’ont cependant pas fini de réunir les mélomanes de la région. «Leurs réouvertures sonneront le retour d’une offre forte, et complémentaire, qui sait mettre à l’honneur la diversité locale et internationale» détaille Michael Kinzer. Le Bourg a en effet agendé quelques évènements ponctuels dans le courant de novembre. La réouverture du Romandie a également été annoncée: la salle nichée sous les arches reprendra du service début 2025. A l’occasion de leur peau neuve, les lieux célébreront également l’ouverture d’une salle attenante, nommée La Brèche et gérée par Le Salopard. La place de l’Europe réunira ainsi, sous un même toit, deux espaces aux programmations distinctes. Tandis que le Romandie se consacrera à des genres comme le rock, l’hyper-pop ou la trip-hop, La Brèche mettra en avant des niches plus pointues telles que la noise et l’expérimental contemporain. 

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