EMBARRAS • Dans le sillage de l’affaire Céline Vara - cette conseillère d’État verte neuchâteloise ayant choisi l’avion pour des vacances en famille à Oman - nous avons souhaité en savoir plus sur les habitudes de voyage des élus écologistes vaudois. À l’approche des grands départs estivaux, cette question, pourtant légitime, a suscité une étonnante levée de boucliers.
«Quelle a été votre dernière destination en avion?», «À quand remonte ce voyage?», «Où partirez-vous cet été et par quel moyen de transport?», «Avez-vous déjà renoncé à un voyage pour des raisons écologiques?»: ces quatre questions simples, nous les avons adressées à quatorze élus écologistes vaudois, actifs aux niveaux fédéral, cantonal et communal. Nous étions loin d’imaginer qu’une démarche aussi anodine déclencherait une véritable levée de boucliers, de la part d’hommes et de femmes politiques pourtant d’ordinaire toujours prompts à répondre aux diverses sollicitations de la presse. Mais voilà: entre-temps, l’«affaire Céline Vara» est passée par là, et la question des escapades privées en avion est devenue gênante. À tel point que, dans un premier temps, nous avons reçu une réponse unique, collective, pour l’ensemble des élus contactés - fait pour le moins inhabituel.
Ce courriel, rédigé par Rebecca Joly, nouvelle présidente des Verts vaudois et municipale à Prilly, posait un premier cadre: «Certains élus verts renoncent entièrement à l’avion. Tout aussi clairement, plusieurs d’entre eux l’ont pris ces dernières années. Cela se reproduira sans doute à l’avenir. L’admettre, c’est aussi reconnaître la difficulté, pour tous les habitants de ce pays, de réduire leur empreinte écologique».
Des municipaux lausannois cohérents
Le même courriel collectif contenait également quatre réponses personnelles détaillées (sur les quatorze sollicitées), provenant des deux municipaux verts lausannois, Xavier Company et Natacha Litzistorf, du conseiller d’État vaudois Vassilis Venizelos, ainsi que de Rebecca Joly. Xavier Company y explique qu’il se rend chaque année en Grèce pour passer ses vacances avec sa femme, originaire du pays, et sa belle-famille. Il privilégie habituellement le train, puis le ferry et le bus pour rejoindre la patrie de Platon. Sauf en 2024, où un imprévu l’a forcé à revoir ses plans: «L’été dernier des travaux sur la ligne de train Brig-Milan m’ont empêché de me déplacer de cette manière et j’ai dû me rabattre sur l’avion. De manière générale, je choisis mes destinations de vacances en fonction de leur accessibilité en train. Ces dernières années cela a notamment été le cas pour Valence, Séville, Barcelone, Paris, Vienne, Cracovie, Londres puis l’Irlande, ou encore Amsterdam.»
Sa collègue de parti, Natacha Litzistorf, n’a pour sa part pas pris l’avion depuis dix ans. À l’époque, elle s’est envolée pour la Chine car elle «n’avait pas assez de temps pour faire le trajet en transsibérien», son rêve de toujours. Ses prochaines vacances, elle compte les passer en Europe, en train: «Soit au Danemark car entre le film “Royal Affair” à l’époque des Lumières qui m’a fascinée et le rappel, grâce à BDFIL, que Petzi est danois, j’ai envie de découvrir ce pays; soit en Italie, mon pays de cœur, où Trenitalia a un panel de choix incroyable.» Et de conclure, non sans une pointe d’ironie: «Je n’ai jamais eu l’impression de renoncer à un voyage, mais de faire des choix en phase avec mes convictions et surtout mes envies. Et si les Verts étaient un peu plus suivis dans leur vision, nous pourrions avoir un réseau de trains performants, notamment de nuit, qui nous emmèneraient encore un peu plus loin, de façon efficace et à des prix abordables. Mais voilà, la droite gouverne notre pays et empêche l’innovation dans le domaine de la mobilité propre, efficace et bon marché.»
«Je n’ai pas pris l’avion depuis sept ans»
Plus laconique, le conseiller d’État vaudois Vassilis Venizelos s’est contenté de cette réponse à nos quatre questions: «J’ai pris deux fois l’avion ces cinq dernières années, pour aller en Grèce. J’entends continuer à limiter les voyages en avion ces prochaines années. Je privilégie le reste du temps les vacances en Suisse et en Europe, soit des destinations accessibles par voie terrestre.»
La toute nouvelle présidente du parti cantonal, Rebecca Joly, indique, quant à elle, avoir changé sa manière de voyager: «Je n’ai pas pris l’avion depuis environ sept ans. Je ne suis plus sortie d’Europe depuis mon adolescence car je trouve qu’il y a des éléments vraiment dépaysants en étant très proche. Ces dernières années je suis essentiellement allée en Italie et en France.» Des habitudes de voyage somme toute en phase avec le programme des Verts vaudois. Dès lors, comment expliquer un tel besoin de cadenasser la communication? Nous relançons Rebecca Joly: «Quand vous dites que certains élus verts renoncent entièrement à l’avion, pouvez-vous nous les citer?» La réaction ne se fait pas attendre: «Cette réponse a été faite au nom de tous les élus et de toutes les élues que vous avez contactés, et les informations personnelles que vous avez reçues sont celles de celles et ceux qui ont été d'accord de les donner en raison de leurs fonctions exécutives.»
Des Alpes suisses au Canada…
On a connu plus volubile. Nous décidons donc de réécrire individuellement à chaque élu qui ne figure pas dans la réponse groupée. Une démarche qui porte ses fruits. On apprend ainsi que la conseillère nationale Sophie Michaud Gigon apprécie les destinations lointaines: «On a fait un beau voyage dans un pays d’Asie en 2019-2020 avec les enfants et cet été nous en faisons un au Canada.»
Quant au conseiller communal et co-président des Verts lausannois, Ilias Panchard, il précise: «Mon dernier voyage en avion remonte à l'été 2017 lors duquel nous sommes allés en Amérique du Sud avec ma compagne. Un voyage sac à dos rêvé depuis des années. Sinon, comme beaucoup, j’ai sillonné l'Europe en train, de jour comme de nuit: Paris, Poitiers, Londres, Amsterdam, Venise, Bruxelles, Hambourg, Copenhague, Prague, Bratislava, etc. Nos prochaines vacances auront lieu cet été dans les Alpes suisses (Valais ou Grisons) et à la Tranche-sur-Mer (FR), en train.»
Voilà pour celles et ceux qui ont joué cartes sur table. Les autres - Raphaël Mahaim, Léonore Porchet, Oleg Gafner, David Raedler, Alice Genoud, Claude Nicole Grin, Nathalie Jaccard et Pierre Zwahlen - ont soit décliné poliment, soit choisi le silence. On retiendra que prendre l’avion quand on est Vert, c’est parfois un choix personnel, parfois une exception nécessaire, et souvent… un sujet tabou.
