
DROGUE • Conseiller communal à Epalinges, Michael Mäder est le responsable de la task-force «Politique de la drogue» chez les Verts libéraux vaudois. Fort de nombreuses recherches et rencontres, en particulier en Suisse alémanique, il esquisse plusieurs pistes pour corriger le tir d’une politique cantonale jugée défaillante.
Lausanne Cités: En quoi estimez-vous que la politique menée en matière de drogue dans le Canton de Vaud est un échec?
Michael Mäder: Il suffit de se rendre dans les centres-villes d’Yverdon, de Vevey ou encore de Lausanne pour constater cet échec, avec la présence omniprésente de dealers dans les rues. La population est mécontente, les forces de l'ordre également, et tout le monde ne peut que constater que la situation est difficile. Le dernier malencontreux épisode à Lausanne où une personne est morte dans les locaux de la police en est un exemple particulièrement frappant. Enfin, une comparaison plutôt très parlante: à Zurich qui compte le même nombre de consommateurs que Lausanne, la situation est bien mieux maîtrisée, et je suis convaincu que ceci n'est absolument pas lié à un quelconque facteur culturel…
Comment en est-on arrivé là?
Quand on regarde dans le rétroviseur, on se rend compte que le Canton de Vaud a eu beaucoup de chance, parce que dans les années 80 et 90, il a été épargné par la crise de la drogue qui sévissait en Suisse alémanique. Ceci explique au moins en partie que Vaud ait réagi avec beaucoup de retard, alors que d’autres cantons comme Zurich et Berne ont mis en place des mesures relativement efficaces depuis les événements du Platzspitz, un traumatisme qui a conduit à une politique coordonnée leur permettant aujourd’hui d’être dans une meilleure situation que la nôtre.
Quel est le problème de fond? La politique des quatre piliers ne fonctionne pas?
Non. En Suisse, elle fonctionne plutôt bien si l’on compare avec la situation en Europe, même si nous sommes loin d’être les meilleurs élèves en termes de nombre de consommateurs ou de décès liés à la toxicomanie. Le Portugal, par exemple, fait nettement mieux que nous…
Et dans le Canton de Vaud?
Chez nous, la situation ressemble à celle que l'on a pu connaître il y a 35-40 ans à Zurich. La politique des quatre piliers fonctionne certes mais on considère qu’il faut l'ajuster, il y manque un pilier supplémentaire qui est l'insertion professionnelle des consommateurs de drogue. La politique actuelle se borne à limiter les risques liés à la consommation mais ne vise pas forcément à réduire la consommation ou à réinsérer les toxicomanes. Ce n’est pas si simple, mais c’est fondamental car la réinsertion et la réduction de la consommation sont les meilleurs moyens pour assécher le deal de rue, qui en réalité, n'est pas la racine du problème, mais une conséquence.
C’est donc au niveau du consommateur qu’il faut agir prioritairement?
Absolument. Évidemment, on n’éradiquera jamais la consommation de drogue mais on peut la baisser de manière significative en appliquant la philosophie portugaise: soigner plutôt que sanctionner, et donc accompagner chaque consommateur en le réinsérant professionnellement et en mettant en place un traitement personnalisé, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.
Vous préconisez également une décriminalisation de la possession de drogue. N'est-ce pas paradoxal?
C'est vrai que cela peut paraître paradoxal, mais aujourd'hui la consommation est considérée par la loi comme un crime et elle est donc à ce titre punissable. En décriminalisant la possession de drogue - cela ne veut pas dire légaliser -, le consommateur ira plus facilement soit vers la police, soit vers les travailleurs sociaux. On vise donc à guérir les malades et pas les considérer comme des criminels comme c’est le cas aujourd’hui. C’est une approche qui fonctionne vraiment bien au Portugal, que nous considérons comme un vrai modèle à promouvoir en l’adaptant à la Suisse.
Aller vers la police pour un toxicomane, est-ce crédible?
Mais absolument! Toujours au Portugal, la police n'est pas qu'un élément de répression mais est aussi considérée comme une aide, ce qui sous-entend une vraie révolution dans la répartition des rôles entre la police et les travailleurs sociaux. Là-bas, un policier est 90% policier et 10% travailleur social et vice-versa: on sort ainsi des rôles figés du méchant et du gentil et l'on s'autorise une meilleure prise en charge et une meilleure complémentarité dans l’accompagnement des consommateurs. C’est ce besoin de complémentarité qui fait que nous allons prochainement déposer des motions et postulats sur les trois niveaux, fédéral, cantonal et communal.
Venons-en à Lausanne qui depuis des années mise sur les espaces de consommation sécurisés. Est-ce une erreur?
Non, c'est une très bonne chose et on a bien vu que dans des endroits comme Zurich, cela a été une des clés du succès. Mais si on veut agir sur le deal de rue, il faudrait prendre en charge l'ensemble des consommateurs vaudois et pas uniquement les Lausannois, d’autant que les deux seuls espaces de consommation dans le canton sont sur le sol lausannois. Sortir de cette logique implique que tous les acteurs puissent fonctionner ensemble à l'échelle de tout le canton et c'est pour ça que l'on préconise la tenue d'assises de la consommation à Lausanne, un bon point de départ pour une vraie coordination des actions et des acteurs entre eux.