Crise climatique: comment agir quand on vit à Lausanne?

Rédigé par
Thomas Lécuyer
Lausanne

CLIMAT • Tandis que les événements climatiques ravageurs se multiplient et qu’on peut encore manger en terrasse en novembre à Lausanne, on se rend tous compte de l’urgence climatique. Que faire de cette prise de conscience? Rencontre avec des militants, des élus de tous bords et des citoyens engagés, pour mieux aborder les contours de cette crise majeure.

Pour le municipal Xavier Company, membre des Verts lausannois, la voie politique lui a rapidement paru être la plus efficace: «C’est ce qui permet d’être le plus concret surtout au niveau communal où nous avons réellement un impact sur le terrain. Le militantisme est aussi indispensable. Avant les manifs pour le climat de 2019, il était inimaginable que la plupart des communes et cantons aient des Plans climat. En 2024, il apparaît presque inimaginable de ne pas avoir de Plan climat!»
Laurent Guidetti, architecte-urbaniste et fondateur du bureau TRIBU à Lausanne, qui a notamment développé la coopérative du BLED dans le nouvel écoquartier des Plaines-du-Loup, considère qu’il y a deux grandes façons de s’engager: le colibrisme (les actions individuelles) et la politique (les actions  sur la société). «Les deux sont complémentaires. Mais il ne faut pas se leurrer: aucune action n’est aujourd’hui à la hauteur de nos engagements vis-à-vis des générations futures». 
Des actes difficiles à mesurer?
Pierre-Antoine Hildbrand, municipal PLR en charge de l’économie, préfère des actions, même limitées, aux discours ronflants: «Chacun doit faire sa part. Il faut à la fois se préparer au réchauffement et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le militantisme et l’engagement ne comptent que lorsque des réalisations concrètes en découlent directement. Jeter de la soupe sur un tableau ne fait pas baisser le CO2 dans l’atmosphère.» La légende du colibri raconte que le petit oiseau faisait aussi sa part en transportant de l’eau pour éteindre l’immense incendie qui ravageait son immense forêt. Pour Mathilde Marendaz, députée Ensemble à gauche et activiste climatique, faire sa part ne suffit pas. «En Suisse, une bonne partie des gens ont un mode de vie très privilégié et il est indispensable d’avoir une régulation publique de la surconsommation irresponsable tels que les SUV, les avions, etc. Il est certain que la politique n’a jamais obtenu de changements majeurs dans l’histoire sans la présence de mouvements sociaux qui dérangent.» 
Militantisme
La municipale verte Natacha Litzistorf rappelle, quant à elle, l’importance de ne pas mélanger les genres: «Je peux voter, faire de la politique comme élue, participer à des manifestations et agir dans mon quotidien. Une ligne essentielle dans la combinaison, c’est la cohérence. Par contre, je ne suis pas du tout à l’aise quand on confond une action politique en tant qu’élue et une action militante comme activiste. Il est vital pour notre démocratie de respecter le cadre institutionnel et celui de l’activisme.» La municipale en charge du logement et de l’environnement confirme que le militantisme peut faire infléchir le politique: «La population qui descend dans la rue est un marqueur fort qui peut réveiller les consciences et faire agir les élus. Mais d’autres actions le peuvent aussi: la science, les démarches participatives, les lanceurs d’alertes ou la pédagogie des catastrophes qui fait toujours recette.»
Pour Laurent Guidetti, «nous ne pouvons pas savoir aujourd’hui quelles actions auront été efficaces. Ce sera à nos enfants de le juger. Et je crains qu’ils ne soient alors sans pitié. Ce qui est frustrant, c’est que ce sont les intérêts privés du modèle libéral qui restent majoritaires.» 
Une opinion nuancée par  Pierre-Antoine Hildbrand qui préfère constater les effets immédiats des actions déjà entreprises: «Comme responsable de l’eau, je dois agir pour que nous soyons prêts face à des épisodes de sécheresse et de canicule. Nous investissons massivement pour garantir l’accès à l’eau potable. La crise climatique provoque aussi des orages stationnaires, comme récemment en Espagne. Il faut adapter les conduites d’évacuation, comme nous le faisons, avec Renens notamment, et avec la renaturation de la Chamberonne. Ce projet prévoit aussi la création d’une île aux oiseaux, Leusonna, car la biodiversité est aussi menacée. Sur le plan sécuritaire, les pompiers se préparent aux risques de feux de forêts et à des inondations. La protection civile visite déjà, en cas de canicule, les personnes seules et à risque.» Quid de la réduction des émissions de gaz à effet de serre? L’élu PLR précise: «Les priorités communales sont claires: rénovation énergétique des bâtiments, chauffage alimenté en énergies renouvelables et mobilités électriques, avec le projet du m3.»
Agir oui, mais ensemble
Xavier Company renchérit: «Si l’on pense par exemple au chauffage des bâtiments, la Ville est en train de proposer des solutions concrètes pour que les citoyens puissent trouver une source renouvelable, soit par le chauffage à distance, soit par des solutions individuelles et propose des soutiens pour la rénovation des bâtiments. Dans d’autres domaines, elle offre des subventions pour les vélos électriques ou les transports publics, déploie des bornes de recharge pour les véhicules électriques, des pistes cyclables, plante des milliers d’arbres par année, etc. Tous ces éléments sont mis en place par la politique pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050.» 
Pour Jeanne Durussel, écologiste et membre d’Extinction Rebellion, l’important est d’entamer une démarche collective: «Il faut se regrouper, en association, en coopérative, en collectifs, pour imaginer de nouveaux possibles. C’est un changement de culture à opérer.» Mathilde Marendaz loue aussi l’action collective: «Il faut éviter le fatalisme! Mais il est dur d’affronter seuls les émotions que les événements climatiques et les récentes guerres génèrent, que ce soit de la colère, de l’anxiété ou de l’impuissance.» 
Le colibri et l’autruche
Le président français Jacques Chirac le disait déjà en 2002: «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs». Les colibris doivent-ils dès lors jeter l’opprobre sur les esprits qui préfèrent faire l’autruche? Laurent Guidetti relativise: «Il faut accepter que souvent les gens sont plus influencés par leurs représentations et leurs valeurs que par des faits objectifs. C’est pourquoi je ne crois pas qu’il soit utile de répéter à l’envi qu’il y a un dérèglement climatique et qu’on vit la sixième extinction de masse. L’enjeu écologique de ce siècle n’est pas de savoir si notre maison brûle mais de comprendre pourquoi nous regardons ailleurs.»
Pierre-Antoine Hildbrand, lui, croit à la vertu de l’exemple pour convaincre. «Diviser la société, désigner des coupables ou encore sanctionner financièrement les personnes aux budgets serrés n’aident pas à des prises de conscience. Il faut donner envie de faire bien, pour que nos enfants aient les mêmes opportunités que nous à l’avenir. Cela implique surtout de ne pas assommer l’économie et les emplois, pour ne pas ajouter encore des difficultés aux changements nécessaires.»

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