
SQUAT • Depuis de nombreux mois, un collectif de jeunes loge dans l’ancienne usine Maillefer à Ecublens. Au sein de la commune, les avis divergent très fortement à leur sujet. Si certains louent leur esprit communautaire et leur jardin partagé, d’autres trouvent le temps long jusqu’à la démolition du bâtiment. Reportage.
Cela fait plus d’une année que cela dure. À la route du Bois 37 à Ecublens, ce qui était autrefois le siège du fabricant de tubes Maillefer est dorénavant habité par le collectif «La Grue». Seulement voilà, ces personnes ne sont ni propriétaires ni locataires de l’endroit et ces «squatteurs» font beaucoup parler d’eux dans le quartier. En bien et en mal.
Marijuana ou tomates?
Ils font par exemple souvent l’objet de discussions sur le groupe Facebook «T’es d’Ecublens si toi aussi...». «J’aimerais savoir comment les parents d’aujourd’hui restent sereins à l’idée de laisser leurs enfants aller à l’école seuls avec tout ce trafic peu rassurant dans la zone Maillefer», assène un habitant. «Ce sont des personnes super», contredit un autre. «Ce sont des profiteurs…point barre», rajoute un dernier. Si les opinions se déchaînent sur les réseaux, c’est également le cas au Conseil communal, où des interventions ramènent régulièrement le sujet sur la table.
La dernière en date, lors de la séance d’avril dernier, était amenée par la conseillère communale PLR Daniela Miéville. «Je ne suis pas directement concernée car je n’habite pas dans ce quartier. Mais une connaissance m’a interpellée, en m’avouant être inquiète. Elle m’a dit avoir vu de la marijuana et des gros chiens. D’autres personnes m’ont dit que leurs enfants ne sont pas rassurés en passant devant le bâtiment. Je me suis donc faite porte-parole.» Pour Lorik Hyseni, conseiller communal socialiste, ces accusations de plantations sont avant tout des rumeurs infondées. Pour en avoir le cœur net, il est allé vérifier par lui-même. «Oui, il y a des plantations. Mais ce sont des débuts de tomates, de poireaux, et d’herbes aromatiques. À l’extérieur, on trouve aussi un petit jardin avec des plantations de tournesol, du fenouil, des courges, etc.»
La rédaction de Lausanne Cités a tenté de prendre contact avec les logeurs de la route du Bois 37, et si les personnes de contact se sont montrées courtoises, il ne nous a pas été permis de franchir le premier portail extérieur. En haut d’un escalier, une terrasse masquée par d’impressionnants arbres fait office d’entrée. De nombreuses fleurs y sont plantées. De l’extérieur, stores disloqués et tags en tous genres sont la marque d’un bâtiment en bout de course.
Un long réaménagement
Pour rappel, le nouveau plan d’affectation «Croset-Parc» a été voté par le Conseil communal en 2014 déjà. Une première partie, constituée de bâtiments locatifs, est opérationnelle depuis 2019. Un premier permis de démolir, actif jusqu’en 2023, a été dépassé, mais une deuxième version a récemment été délivrée. Pour le syndic Christian Maeder, le temps devient long. «Ça a pris beaucoup trop de retard à nos yeux. Et dès que quelque chose de ce style traîne, vous encourez le risque d’avoir des logeurs indésirables. Ce ne sont pas des personnes dérangeantes. C’est leur présence et leurs activités qui sont problématiques.» Là encore, les doléances concernent les chiens, promenés la plupart du temps sans laisse, et l’exemplarité qu’ils transmettent aux habitants. «On a une école juste à côté. Certains parents ne sont pas contents. Ce n’est pas un modèle qu’ils veulent transmettre à leurs enfants.» Si la démolition n’intervient pas prochainement, le syndic promet de prendre certaines mesures. «Nous allons signaler aux propriétaires qu’il faut démolir ce bâtiment sans attendre. Nous pouvons invoquer des raisons de salubrité principalement. On va faire en sorte qu’ils le fassent. Alors déloger les squatteurs, c’est une évidence.»
Une opinion que, justement, partage l’entreprise REInvest, propriétaire du bâtiment. «Mon souhait, c’est de les voir partir avant que le projet de démolition aille de l’avant pour ne pas mettre en péril la planification du projet», explique Cédrik Devienne, directeur de REInvest Capital SA. «Pas plus tard que la semaine passée nous avons eu une première prise de contact avec les occupants, mais la situation n’a pas beaucoup avancé. Des démarches ont déjà été entamées pour les faire partir».
"Contexte de vie"
Avec une intervention au Conseil communal et sur Facebook, Lorik Hyseni a tenté de changer le regard des sceptiques sur les membres du collectif. «À l’intérieur, c’est extrêmement bien organisé. À l’entrée, il y a un tableau des tâches, ils trient les déchets, se partagent les coûts, etc». Selon les dires du jeune écublanais, une partie des logeurs travaillent pendant la journée, d’autres sont au chômage, et s’occupent avec des activités manuelles. Mais ils ne seraient pas forcément là par choix: «Il y a un contexte de vie qui les a poussés à s’organiser comme ça. J’ai vu des gens d’une grande solidarité, qui communiquent entre eux, qui travaillent ensemble à créer un projet. On les a exclus de la société, mais ici, ils se sentent chez eux et se comprennent.» Aucune date n’a pour l’instant été fixée pour la prochaine démolition. Mais d’ici-là, il est certain que l’éviction des squatteurs, attendue par beaucoup, fera encore beaucoup d’émules.