Rachel M’Bon, une autrice et militante apaisée aux mille et un projets

PORTRAIT • Fin mars, la Lausannoise Rachel M’Bon a obtenu une récompense du Prix du cinéma suisse pour le film documentaire «Je suis noires», co-réalisé avec Juliana Fanjul. Un bon prétexte pour la rencontrer.

  • Le rêve de Rachel M’Bon? Créer un centre culturel afropéen en territoire helvétique. FNT

    Le rêve de Rachel M’Bon? Créer un centre culturel afropéen en territoire helvétique. FNT

Rachel M’Bon est la première Suissesse afro-descendante à recevoir un prix de réalisation. Née en 1974, dans le canton de Fribourg, d’un père peintre congolais et d’une mère suisse alémanique blanche, cette métisse au sourire séducteur nous a accordé une interview empreinte de sincérité et d’émotion au bar du Musée cantonal des Beaux-arts.

Sa crise de la quarantaine? «Elle a plutôt été une crise identitaire. Un moment charnière alors que mes deux enfants devenaient adolescents. Quid de ma propre autonomie en tant que mère, que noire métisse, puis femme divorcée… Je m’interrogeais sur ce que j’avais accompli dans ma vie». Le décès de son père va déclencher une prise de conscience puis une envie d’agir.

Renvoyée à sa couleur de peau

«Je me suis construite sur un déni: j’ai voulu effacer tout héritage paternel africain.» Tout au long de sa vie, Rachel s’est sentie renvoyée à sa couleur de peau. Cela relevait davantage de la maladresse que d’une attitude raciste ostensible. Une accumulation de petites choses qui a fini par faire naître un malaise, voire un mal-être, et constater un manque de valorisation. Un enfermement réducteur et parfois rabaissant dans des stéréotypes.

Risque de blackwashing

Une anecdote, parmi tant d’autres: «J’adore Rome où j’ai vécu deux ans, plus jeune. J’y ai tissé des liens et je parle italien. Un jour sur place, avec ma supérieure hiérarchique au travail, nous avons rencontré un client avec qui j’ai discuté en italien. Alors qu’il me demandait d’où venait mon accent, ma cheffe a répondu: d’Afrique.»

Longtemps active dans le journalisme et la communication en Suisse, elle se souvient aussi s’être rendue en compagnie d’un photographe dans des événements huppés romands à couvrir pour un média. Il arrivait qu’elle ne soit pas considérée tout de suite comme la journaliste du duo au moment des présentations, en raison de son altérité.

«Ce prix du cinéma suisse que je viens de recevoir pour mon film «Je suis noires» est aussi politique. Le but est de montrer une diversité en Suisse», explique Rachel. Elle se dit consciente d’un potentiel blackwashing dans d’autres domaines pour des raisons parfois commerciales. La quadra redoute aussi une récupération du film de part et d’autre, c’est pourquoi elle est attentive aux lieux qui souhaitent le diffuser et elle tient souvent à être présente lors de sa projection, notamment en milieu scolaire.

«Je crains aussi un enfermement identitaire, une juxtaposition de micro-identités sclérosées qui campent sur des positions dogmatiques, refusant tout dialogue et volonté de se comprendre.» Avec le long processus qui l’a amené à faire aboutir cette réalisation primée, elle sent avoir enfin atteint le «chemin de la sérénité».

Trois nouveaux chantiers

Forte de cette délivrance, Rachel mène des projets. Comme tout d’abord son association NWAR (Now we are rising; ndlr: «maintenant nous nous levons»), qui organisera des événements culturels pour concevoir des passerelles et créer des liens, avec par exemple la tenue d’un festival. «Il s’agira de sortir des clichés de la représentation africaine teintée d’un certain misérabilisme», clame la Lausannoise. Un nouveau film aussi, sur le thème des représentations et de la célébration des différences. Elle souhaite en parallèle être active dans l’éducation scolaire avec des outils pédagogiques, afin de pousser à la réflexion. Rachel M’Bon souhaite enfin mettre sur pied un centre culturel afropéen en Suisse. Il permettra d’exposer des artistes afro-descendants. «Je fais ça aussi pour mon père, une sorte de réhabilitation», confie-t-elle, émue.