Les belles valeurs du football des talus sont sérieusement menacées

SPORT • Nombre de joueurs adultes comme jeunes, ont un grand mal à se soumettre jusqu’aux règles les plus basiques du collectif. L’ambiance au sein des clubs vaudois s’en ressent et leur avenir inquiète.

  • L’individualisme triomphant nuirait au football amateur vaudois.

Le «foot des talus» n’est plus ce qu’il était. L’amour du maillot et la fidélité à son club sont des valeurs en très net recul. La tendance date d’une dizaine d’années déjà, mais semble s’enraciner et s’aggraver. Cette saison, dix-huit équipes vaudoises se sont déjà retirées du championnat dans lequel elles s’étaient inscrites en juin, souvent suite à des désistements de joueurs. Et ce n’est sans doute pas fini. «On est malheureusement dans la norme de ces dernières années, mais c’est vrai qu’il n’y a pas si longtemps l’amour du maillot et la fidélité aux engagements pris minimisaient ces situations désagréables pour tous, y compris pour les autres équipes engagées», relève Gilbert Carrard, président de l’Association cantonale vaudoise de football (ACVF). Pour mémoire, la saison passée, le FC Thierrens, évoluant pourtant en 2e ligue inter, avait par exemple dû se retirer à une poignée de matches de la fin du championnat.
Le «moi je» plutôt que le collectif
Pourtant, statistiquement, le foot vaudois se porte très bien. L’ACVF recense cette saison 1440 équipes engagées dans divers championnats, soit 70 de plus que l’an dernier et chapeaute pas moins de 31 000 joueurs! Ce qui pêche trop souvent, c’est l’état d’esprit d’une frange grandissante d’entre eux. Il n’est pas rare ainsi qu’un footballeur amateur loupe un match pour lui préférer un week-end loisirs en famille ou un enterrement de vie de garçon entre potes. Certains n’ont même aucun scrupule apparent à quitter leur équipe en pleine saison ou à signaler leur absence benoîtement la veille d’un match par un simple sms, s’indigne un entraîneur anonymement. Et ce sont parfois les mêmes qui réclament avec arrogance des primes financières qui, dans un passé proche, n’existaient pas à leur niveau finalement assez modeste.
«Beaucoup de joueurs ne calent plus leurs vacances sur le calendrier du championnat comme nous le faisions et en début de saison les contingents sont parfois minces», relève encore avec fatalisme Alain Troesch, secrétaire adjoint de l’ACVF. «Certains gars rentrent chez eux sitôt la douche prise. La troisième mi-temps qui soudait les troupes dans l’amitié, s’est un peu perdue ces dernières années. Mais ce n’est pas propre à notre sport. L’individualisme triomphant a simplement infusé dans le football comme partout», déplore Sébastien Anger, président du FC Venoge, qui du haut de ses 39 ans n’est pourtant pas vraiment à enfermer dans la catégorie des vieux ronchons.
Une relève déstructurée
Le passionné relève aussi que cela pêche au niveau de la transmission, surtout que voici une dizaine d’années, l’âge pour passer en catégorie senior a été abaissé de 32 à 30 ans. Beaucoup de joueurs, pères de famille, passent ainsi dans cette catégorie plus flexible où les compétitions se disputent en semaine. Mais du coup, les jeunes joueurs bénéficient moins longtemps de leur riche expérience. Chez les enfants, le tableau n’est pas plus encourageant. «L’entrainement semble être devenu pour certains optionnel. On sent qu’il y a un problème général avec l’autorité, la rigueur et la résistance à la frustration qui constitue pourtant un moteur puissant pour se dépasser et ce dès les catégories de jeunes. Du coup, on se retrouve contraints de chercher un équilibre subtil entre un idéal d’exigence, jadis banal mais aujourd’hui devenu inatteignable et des concessions acceptables qu’on n’aurait pourtant jamais tolérées avant, sans quoi on assiste à des départs mettant en péril le collectif», peste Sylvain Equey, président du FC Cheseaux. Et dans ce contexte, l’attitude revendicatrice de certains parents, plus prompts à s’indigner qu’à contraindre leur progéniture pour l’élever, n’aide pas toujours…
Conséquence: l’enthousiasme des bénévoles, indispensable ciment des clubs, s’assèche voire s’évapore totalement. Et ce à tel point qu’en recruter de nouveaux relève quasiment de l’exploit. «Et lorsqu’on y parvient, ils n’ont pas toujours la rigueur requise eux non plus, ce qui est délétère car les joueurs n’ont alors plus vraiment d’exemples d’adultes inspirants à suivre», relève encore un de nos interlocuteurs. A terme, les bénévoles pourraient faire place à des personnes rémunérées ou au moins dédommagées financièrement. «Ce jour-là arrive à grand pas et entrainera immanquablement une hausse des cotisations, laquelle risque fort de faire fondre les effectifs…», met en garde Sébastien Anger en guise de conclusion.