Le jeu vidéo s’enseigne, s’apprend et passionne les Vaudois

GAMING • En Suisse romande, des milliers de joueurs s’activent dans un monde virtuel. Ils sont un peu moins à créer des jeux, mais pas moins passionnés. Des formations sont proposées à Lausanne, Genève et Fribourg.

  • Les studios se multiplient et les joueurs suivent. En médaillon, David Javet, cofondateur du Gamelab Unil-EPFL. dr/123rf

«Nous sommes entrés dans une nouvelle manière d’interagir»
David Javet, cofondateur 
du Gamelab Unil-EPFL

La planète jeux est un monde à part, discret dans les médias. Ses canaux sont virtuels, avec des communautés sur des plateformes d’échange comme Discord, où des milliers de personnes se retrouvent. Toutes les générations jouent car, comme le précise David Javet, qui enseigne le jeu vidéo à l’Unil et à l’EPFL, bien qu’elles estiment souvent ne pas jouer à des jeux vidéo, de très nombreuses personnes sont sur leur téléphone ou leur tablette avec des jeux de cartes en ligne. 
Tout le monde s’y adonne, mais qu’en est-il des créateurs? Les grandes sociétés gèrent des milliards et font évoluer leurs succès pour attirer les fans: FC24, Call of Duty, The Legend of Zelda, Resident Evil 4... C’est la partie émergée de l’iceberg. «Nous sommes entrés, rappelle David Javet, dans une sorte de révolution, une nouvelle manière d’interagir, comme celles que furent le passage de l’oralité à l’imprimerie, ou l’arrivée des smartphones.» Le jeu prend une place considérable dans notre quotidien.
Les aides bienvenues
Les institutions se sont ouvertes à ce monde. Pro Helvetia, Cineforom,  Migros et d’autres allouent des budgets aux créateurs. La société lausannoise Naraven Games en a bénéficié et sa fondatrice Julia Jeanneret reconnaît que cela lui a permis de se lancer. Venue du monde du cinéma, elle a débuté seule, dans un projet très narratif et court. Puis elle a travaillé avec des indépendants, étrangers surtout, et a produit un jeu très cinématographique, Backfirewall, l’histoire d’un smartphone qui ne veut pas être mis à jour. Produit à Lausanne, mais par un éditeur polonais qui le diffuse, et Naraven Games touche des royalties. Un bon système? «Le marché est très saturé, nous dit Julia, car les jeux narratifs ne sont pas trop compliqués à faire et il y en a beaucoup».
Des succès, il y en a d’autres, comme Farming Simulator, où l’on construit son univers de la ferme, si prisé qu’il est désormais décliné pour les enfants. David Javet, cofondateur de GameLab (groupe d’étude Unil-EPFL) observe qu’à côté de pures distractions, les demandes de créations ludiques originales et sur-mesure augmentent pour des institutions comme les bibliothèques et les musées. Il remarque que les équipes locales n’ont pas les défauts des grandes marques, dont les impératifs de rentabilité les conduisent souvent à trouver des techniques pour gagner le plus d’argent possible de leurs joueurs. Un des premiers cours est né à Fribourg. Maurizio Rigamonti y enseigne et constate que les étudiants sont assez réalistes et conscients de la compétition. Ils sont passionnés d’art, d’informatique, et vont plutôt agir en indépendants.
Les créations se multiplient
Dans le domaine médical, Maurizio Rigamonti travaille à un jeu permettant d’inhiber les parties du cerveau liées aux addictions. Une voie à explorer pour le diabète, l’obésité, etc. «Les jeux créés en Suisse sont bien évalués, ils ont gagné des prix, mais surtout à l’étranger», note-t-il. Un coup d’accélérateur a été observé durant la pandémie, remarque Gabriel Sonderegger, co-créateur de Sunnyside Games, start-up lausannoise née en 2013. Même si la bulle Covid s’est depuis dégonflée, les créations restent à un niveau jamais atteint.
Selon le site d’observation SteamDB, 
14 000 nouveaux jeux ont été publiés sur Steam en 2023 et on en attend 1000 à 2000 de plus cette année. Il faut dire que de nouveaux acteurs se présentent, notamment la Chine. Le monde du jeu «intéresse énormément, je reçois régulièrement des appels de parents qui veulent trouver un stage pour leurs enfants», souligne le co-créateur de Sunnyside Games. Il voit une ouverture dans les «serious games», un besoin des entreprises, comme celui créé par la Mobilière pendant la fête de lutte pour ses clients. Et son entreprise? «Depuis 2013 et jusqu’à la publication de notre dernier titre Nocturnal en 2023, nous continuons notre croissance progressive, centrée sur la création de jeux qui nous passionnent, mais sans oublier les réalités du marché évidemment.»
A table en riant
Autre exemple parlant, la Vietnamo-suisse Charlotte Broccard a créé de toutes pièces Tet, un jeu amusant pour apprendre à cuisiner vietnamien. «J’adore dessiner alors l’idée de créer un jeu vidéo ou un environnement interactif composé de mes dessins m’a tout de suite séduite. Au début, j’étais à tous les postes: game designer, illustratrice, animatrice, développeuse, sound designer.» Le projet a été initié lors de son projet de diplôme en Media & Interaction Design à l’ECAL. Comme le dit Isaac Pante, maître d’enseignement et de recherche à l’Unil, «le jeu vidéo emprunte à tous les arts». Et aux techniques les plus variées puisqu’on le trouve dans les écoles professionnelles. L’étude de ce monde en pleine expansion pose néanmoins une  question d’ordre quasi-philosophique: «que dit-il sur notre époque?» Tout d’abord, les avancées technologiques ont permis des expériences de plus en plus immersives, avec des graphismes époustouflants et une connectivité en ligne robuste. Ensuite, la popularité croissante des jeux vidéo comme forme de divertissement a créé un marché immense, attirant des développeurs du monde entier. De plus, la culture du jeu vidéo s’est étendue pour devenir un terrain d’expression artistique, de storytelling complexe et même un outil éducatif. Et dans cet univers, Lausanne, grâce à ses créateurs de talent, a une belle carte à jouer.