Susan Sax: «On n’écoute pas les femmes de la même façon que les hommes»

TRAJECTOIRE • Depuis son plus jeune âge, Susan Sax garde les pieds sur terre et les manches retroussées. La présidente de GastroLausanne nous donne rendez-vous au Grütli, non loin de la place de la Palud et des bureaux de Lausanne à Table pour une discussion à bâtons rompus.

  • Hôtellerie, restauration, politique, Susan Sax est sur tous les fronts. HOFER

    Hôtellerie, restauration, politique, Susan Sax est sur tous les fronts. HOFER

Le quartier de la Palud, Susan le connaît bien, pour avoir passé son enfance rue de la Madeleine, avant de déménager à la Naz, un hameau du Mont-sur-Lausanne, à l’âge de sept ans. «Là-bas, c’était clairement l’ambiance “retour à la terre”, se souvient-elle. S’occuper du potager et des vaches de la ferme voisine, planter les salades, récolter les pommes de terre.» Petite, Susan courait ainsi se réfugier à la ferme dès la fin de l’école, pour s’occuper des animaux, faire des rêves infinis dans la cabane perchée dans les arbres et découvrir qu’on peut choper une indigestion à force de manger des cerises.

Le travail, c’est la santé

De son enfance à la campagne, elle retient cette insouciance emmêlée de besogne, mais aussi le souvenir de parents qui travaillaient tout le temps, et ne connaissaient pas le sens du mot «vacances»: un père ingénieur du son, électronicien de formation (le mot ingénieur l’emporte puisque Jacques a inventé ses propres machines) et une maman assistante de direction, qui lui ont rapidement donné le sens de la valeur du travail. «Quand j’ai demandé de l’argent de poche vers l’âge de dix ans, ils m’ont mise au boulot. J’ai commencé par bosser dans l’usine de mon père, pour fabriquer des pièces pour ses consoles. A mon avis, aujourd’hui, ce serait dénoncé (rires).»

Cette éducation où «rien ne tombe du ciel» a donné à Susan une grande endurance, le sens de l’effort, et une notion prononcée du réalisme. Et si elle n’a peut-être pas fait mille boulots dans sa vie, le compte n’en est pas loin. «Mes parents ont divorcé quand j’avais 14 ans. Mon père est retourné habiter en ville. Dans la foulée, j’ai commencé ma formation d’employée de commerce. J’ai vite eu envie de voler de mes propres ailes. Je suis devenue barmaid, j’ai fait des ménages et du repassage, plein de petits jobs, pour rentrer dans mes frais.» Avant cela, pour marcher dans les pas de son père, la jeune femme a fait deux ans d’apprentissage en tant qu’électronicienne. Mais le courant n’est pas passé, si l’on peut dire. Après son CFC, Susan débarque ainsi à l’EHL pour rejoindre l’équipe marketing de la célèbre école. Elle se met à rêver d’une vie entre New York et Tokyo, et s’imagine bosser pour le CIO, à cause de son attachement aux valeurs de la charte olympique.

Générations

Mais le destin en décide autrement et au détour d’un apéritif chez son père apparaît le projet de l’hôtel 46A à Vidy. «Il avait un terrain au Rôtillon pour y construire les locaux de son entreprise Sonosax, mais il n’a jamais eu l’autorisation de lancer le chantier. Il a donc imaginé un hôtel.» Susan est à la tête de l’établissement depuis 2013, et a vite pris le goût de cette vie dans l’hôtellerie et la restauration, jusqu’à devenir présidente de GastroLausanne en 2018. Mais comment se retrouve-t-on à la direction de GastroLausanne quand on est une femme, jeune, et qu’on est arrivée dans la restauration un peu par hasard? «Je crois qu’il faut être là au bon moment. Thierry Wegmüller, le président de l’époque, s’attelait à dépoussiérer la faîtière locale. Antoine Piguet, que je connaissais déjà bien à l’époque, quand je l’ai rencontré il était deejay du XIIIème siècle et pas encore patron, m’a proposé de rejoindre le comité.»

Bientôt, Thierry Wegmüller quitte son poste de président et le comité de GastroLausanne voit en Susan une opportunité de redynamiser la faîtière, son image, ses ambitions, ses objectifs. Une fois encore, elle a pris ses fonctions à bras le corps, quitte à pécher parfois par excès d’énergie, dans une structure très ancienne dont la plupart des membres sont ses aînés d’une génération. «Il y a des procédures qui se font encore par courrier! Moi je suis plutôt de la génération e-mails et WhatsApp!»

Energie renouvelable

Etre une femme dans ce milieu très patriarcal s’est avéré beaucoup plus difficile que ce qu’elle imaginait. Le monde de la restauration, comme celui de la politique, est toujours pétri de vieux réflexes et d’un virilisme dépassé. «On ne s’adresse toujours pas aux femmes de la même manière qu’aux hommes. Et on ne les écoute toujours pas de la même façon non plus.» La politique justement, Susan en est totalement addict. Candidate PLR lors des dernières élections du Grand Conseil vaudois, elle rêve de plus de parité dans un monde politique tout aussi patriarcal que celui de la restauration. «La nouvelle génération PLR est jeune, dynamique et beaucoup plus mixte. Cela me donne de l’espoir.»

Un espoir teinté de nombreux défis à venir: citons notamment le développement des projets liés à la durabilité (la restobox, les doggy bags, l’usage raisonné de l’eau), le tissage des liens avec les commerçants et fournisseurs locaux ou encore le développement de Lausanne comme destination touristique gastronomique. «On doit plus valoriser la région du Léman. A une demi-heure de route de la ville, il y a des trucs complètement dingues: les vins de Lavaux, l’Etivaz, les malakoffs de la Côte, les poissons du lac… nous devons unir nos forces pour promouvoir ce magnifique terroir et ce beau patrimoine gastronomique.» Infatigable, inarrêtable, Susan Sax semble avoir trouvé au fond d’elle une intarissable source d’énergie renouvelable.