«Certains cépages typiquement suisses comme le Chasselas pourraient avoir du mal à résister à un climat plus chaud»
Blaise Petitpierre, chercheur au Département d’Ecologie et d’Evolution de l’Université de Lausanne.
Un peu partout dans le canton de Vaud, les vendanges ont commencé. «C’est incontestablement très tôt», déclare la viticultrice Noémie Graff, propriétaire du domaine Le Satyre à Begnins. Mais ça s’explique: les raisins mûrissent plus vite à cause du réchauffement climatique. Et comme le sucre du fruit se transforme en alcool pendant la fermentation, le degré alcoolique des vins prend l’ascenseur…
En moyenne, le vin de table a gagné entre 2 et 4 degrés depuis les années 1970. Cette évolution est plutôt positive pour les vignobles suisses: «Nous pouvons amener plus facilement à une belle maturité certains cépages traditionnels. Cela nous permet aussi de cultiver des cépages qui nous étaient jusqu’ici inaccessibles car trop tardifs, comme les Cabernets», explique la viticultrice vaudoise. Il y a un siècle, le climat suisse était trop frais pour ces cépages, d’après Vivian Zufferey, ingénieur agronome à la station de recherche Agroscope. La qualité actuelle des vins suisses est «supérieure à celle que l’on obtenait il y a quinze ans», confirme Werner Siegfried, chercheur à la station Agroscope de Wädenswil (ZH).
Des risques aussi
Mais le réchauffement climatique présente aussi des risques. Si la quantité de sucre et le taux d’alcool augmentent, l’acidité diminue, avec pour conséquence une perte de fraîcheur en bouche et un potentiel de garde réduit. Et si le manque d’eau réussit bien aux cépages rouges, comme le pinot ou le gamay, les cépages blancs sont moins résistants à la sécheresse.
Soumise à un fort stress hydrique, une Petite Arvine «deviendra plus astringente, plus amère, et aura tendance à perdre ses arômes caractéristiques de pamplemousse, de rhubarbe et de fruit de la passion», selon Vivian Zufferey. Quant au Chasselas, particulièrement sensible aux températures très élevées, en particulier, il est menacé. Pas en tant que tel, car la vigne s’adapte en variant son comportement physiologique, mais «s’il fait trop chaud, on ne pourra plus garder sa typicité».
«Certains cépages typiquement suisses comme le Chasselas ou le Cornalin pourraient en effet avoir du mal à résister à un climat plus chaud et risquent de devoir être remplacés par d’autres cépages mieux adaptés, mais qui ne possèdent pas la même identité historico-culturelle», ajoute Blaise Petitpierre, chercheur au Département d’Ecologie et d’Evolution de l’Université de Lausanne.
Optimisme de rigueur
Les solutions? Elles consistent essentiellement à créer par croisement des cépages plus résistants, à déplacer les cultures à une plus haute altitude, ou encore à cultiver des cépages plus tardifs. Agroscope mène des expériences à Leytron en Valais, à Pully et dans le Tessin. Evidemment, les viticulteurs aussi font des essais. «Nous cultivons depuis plusieurs années un cépage tardif, le Carminoir», indique par exemple Noémie Graff. Autre solution complémentaire et écologique: les vendanges de nuit pour éviter un refroidissement en cave.
Pour Nathalie Ollat, ingénieure à l’Institut des sciences de la vigne et du vin à Bordeaux, les vins de demain «auront un goût d’alcool plus prononcé, avec moins d’acidité, plus d’arômes fruités, et seront destinés à être bus plus jeunes ». Directeur du Centre de compétence vitivinicole du Service de l’agriculture et de la viticulture du canton de Vaud, à Marcelin, Olivier Viret se veut optimiste: «Dans l’agriculture, on est habitué à devoir s’adapter en permanence à cet environnement qui n’est jamais stable et, jusqu’à présent, on a toujours trouvé des solutions.» «Au premier siècle après Jésus-Christ, un agronome romain disait déjà qu’il y a toujours quelque chose qui nuit à la vigne», se plaît à rappeler Noémie Graff.