«Pour les petits commerces, les faillites ne vont pas tarder»

COMMERCE • Patronne d’une célèbre chocolaterie de Lausanne, Anne-Lise Noz est la nouvelle présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois.

  • Anne-Lise Noz entend privilégier les rencontres «en direct». CA

    Anne-Lise Noz entend privilégier les rencontres «en direct». CA

«Considérez-nous comme une chance pour vos projets, pas comme un obstacle!»

Lausanne-Cités: Vous voilà élue à la tête de la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL). Cette présidence vous l’avez voulue?
Anne-Lise Noz:
On me l’a proposée! Et je dois dire que je me suis interrogée sur mes compétences pour un tel poste. La SCCL, c’est 379 membres, 123 ans d’existence, c’est donc une vieille dame qui fonctionne bien mais dont il faut s’occuper. Et comme quand je fais quelque chose, je le fais correctement ou je ne le fais pas, j’ai bien réfléchi…

Pour accepter finalement…
Oui, d’abord parce que je savais que j’allais être entourée par une vraie équipe, ensuite parce que j’ai envie de porter les valeurs des commerces locaux et de montrer leur importance. Il faut absolument défendre ces petites entreprises qui fonctionnent sur la base de circuits courts, donnent du travail, assurent des places de formation et font la vie des quartiers.

Selon vous, les petits commerces sont en danger?Oui et pour plusieurs raisons: d’abord, on vit une époque de grands changements qui vont très vite, ensuite on sort de deux années de covid qui ont beaucoup fragilisé les commerçants. Ajoutez-y la guerre en Ukraine, avec ses conséquences sur l’inflation, les pénuries et les pertes de pouvoir d’achat, ainsi que les changements en termes de mobilité, cela fait beaucoup!

Les changements en termes de mobilité à Lausanne vous font donc peur?
Si on regarde la situation en termes de climat, il est évident que les changements sont nécessaires en matière de mobilité. Et c’est vrai aussi que les études à long terme montrent que les zones piétonnes sont favorables au commerce. Le problème, c’est qu’après leur instauration, ce sont de nouveaux commerces qui apparaissent.

Et en quoi est-ce un problème, puisque l’activité commerciale continue…
C’est un problème, parce qu’aucun d’entre nous n’a envie d’être le dégât collatéral des changements actuels. C’est un problème parce que si d’autres prennent notre place, il s’agira de grandes enseignes, et cela peut casser l’équilibre de tout un quartier, sur le plan économique mais aussi social… L’enjeu, c’est donc de permettre aux commerces qui sont déjà sur place de rester pérennes…

Que faut-il faire?
Clairement, ce qui manque actuellement, ce sont des mesures d’accompagnement pour garantir l’accessibilité aux commerces. On peut faire un centre-ville sans voitures, mais à condition que les véhicules puissent garder la possibilité d’y accéder d’une manière correcte. Et si on lance des travaux de longue durée, il faut toujours se demander en amont, comment les commerces qui font vivre la zone pourront traverser cette période. En clair, il faut proposer des mesures avant que les problèmes ne soient là. Car après, c’est trop tard!

La Ville adhère-t-elle à cette démarche?
Je prends mes fonctions c’est donc difficile de répondre. J’entends en tout cas travailler en amont avec tous ceux qui sont en fonction, municipalité, conseil communal, pour mieux affronter les changements sociétaux inévitables. A tous les politiques, je dis: considérez-nous comme une chance pour vos projets, pas comme un obstacle. Car les commerces peuvent apporter leur expertise d’un terrain qu’ils connaissent mieux que personne, ainsi que leur rôle social.

Quels sont vos autres objectifs?
Mon autre priorité sera d’une part de resserrer les liens avec les autres acteurs de la ville, comme ceux du tourisme ou de la culture, mais aussi de renforcer les liens entre commerçants: on connaît souvent les autres commerçants de son quartier mais pas plus loin… J’entends donc organiser régulièrement des rencontres pour échanger, partager les expériences et faire remonter les problèmes et les idées. Au-delà des mails et des newsletters, rien ne vaut les rencontres en direct.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir?
Quand on entend le discours que tient actuellement le Canton, on se dit que l’économie va bien, que le risque de faillites est limité. Sauf que même si on peut les reporter à octobre, moyennant au passage un renchérissement des primes, les remboursements des prêts covid ont commencé. Je pense donc que les faillites sont devant nous, même si j’espère me tromper.

Ecoutons Anne-Lise Noz, l'éditorial de Charaf Abdessemed

Il faut écouter ce que la nouvelle présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL) a à dire (lire notre interview en page 3). D’abord parce qu’il s’agit d’une commerçante qui, en trente ans, a su bâtir avec son mari et à force de travail, une petite entreprise florissante, une chocolaterie devenue au fil du temps une véritable institution très prisée des Lausannois. Ensuite parce que cette femme bienveillante et au ton posé n’a rien d’une jusqu’au-boutiste, ou d’une idéologue. Bien au contraire, ses propos illustrent une retenue, un sens de l’équilibre et un pragmatisme de plus en plus rares de nos jours. Les changements en termes de mobilité à Lausanne? Inévitables, dit-elle en substance, tant les effets du changement climatique sont patents. L’action de la Municipalité? Celle qui vient de prendre la présidence de la SCCL préfère attendre de juger sur pièces avant de se prononcer. Alors, à l’aune de cette modération de bon aloi, ses propos prennent un poids auquel il faut accorder une juste attention. Que demande-t-elle? Que les commerçants, au regard de leur expertise de terrain et de leur rôle social, soient considérés comme des partenaires avec lesquels il faut discuter avant de conduire des changements, des travaux, des aménagements dans la ville et non après. Une évidence? Peut-être pas tant que cela, à partir du moment où cette femme ouverte à la discussion éprouve le besoin de le rappeler. Pour Lausanne, son entrée en fonction représente une occasion unique d’engager un dialogue intelligent et constructif qu’il ne faut pas manquer.