Logements: une initiative mal ciblée ou qui répond à un réel besoin?

Le 9 février, les électeurs-rices de ce pays sont appelé-es à se prononcer sur l’initiative populaire «Davantage de logements abordables». Lancé par l’ASLOCA, le texte vise à favoriser la création de logements d’utilité publique et combattre la spéculation du marché immobilier. Ses opposants estiment qu’elle est rigide, inefficace et étatiste et coûterait chaque année 120 millions aux contribuables.

Duel entre le conseiller national PLR Olivier Feller et Pierre-Yves Maillard, président de l'Union Syndicale Suisse.

Pierre-Yves Maillard: «L’appât du gain fait perdre le sens des mots!»


Lausanne Cités:En quoi selon vous, l’initiative garantira-t-elle réellement des loyers abordables?
Pierre-Yves Maillard:Extrêmement modérée, l’initative prévoit un contrôle des impacts sur les loyers des rénovations énergétiques notamment, ce qui est hautement nécessaire. Elle prévoit aussi que 10% des nouveaux logements soient consacrés aux besoins des seniors, des jeunes en formation, au logement social ou soient loués à prix coûtant, via des coopératives par exemple. Cela laisse 90% des nouveaux logements pour le marché libre. Entendre parler d’extrémisme au sujet de ce texte, ça montre que l’appât du gain fait perdre le sens des mots!

Pour ses opposants, un quota de 10% de logements construits par des maîtres d’ouvrage d’utilité publique est tout simplement impossible...
Ah bon? Alors qu’est-ce qu’ils estiment possible? 8%, 5%, 2%? La vérité, c’est qu’ils sont pour 0%. Ils veulent tout le sol disponible pour eux et pour leur profit. 10%, c’est non seulement possible, mais nécessaire.

Est-il possible ou judicieux d’appliquer un tel quota à des régions dont les spécificités et les besoins sont très différents?
Dans bien des régions, il faudrait faire plus que 10%, parce que les besoins sont énormes. Mais 10%, c’est un minimum nécessaire partout. On construit beaucoup, mais trop cher. Les logements de luxe continuent d’être construits alors que des familles doivent consacrer parfois jusqu’à 40% de leurs revenus pour se loger.

N’y a-t-il pas un risque que les coûts et la bureaucratie induits par  l’initiative puissent au final conduire à une augmentation des loyers ?
Cet argument est toujours invoqué quand on veut corriger un marché qui ne fonctionne pas. Avec la rareté du sol en Suisse, si l’on n’avait pas de règles, les capitaux du monde entier se disputeraient nos rares mètres carrés et tout deviendrait inabordable. Le marché locatif suisse ne souffre sûrement pas d’un excès de règles, mais d’une insuffisance.

Olivier Feller: «L’initiative est inefficace et rate vraiment sa cible!»


Lausanne Cités: L’initiative demande de soutenir davantage l’offre de logements à loyer modéré. Cette demande vous paraît-t-elle illégitime?
Olivier Feller: Non. Mais l’initiative rate sa cible. La situation est différente à Lucerne, à Delémont et sur l’arc lémanique. Les solutions au problème du logement doivent être aménagées par les cantons et les communes. Et non par la Confédération.

Cette initiative rate sa cible, dites-vous, et vous avancez un certain nombre d’adjectifs pour la qualifier. Selon vous, elle est d’abord rigide. En quoi?
L’initiative exige un quota contraignant de 10%, applicable partout et en tout temps, quels que soient la conjoncture et les besoins. C’est un non-sens. La politique des quotas a débouché sur une aberration en France. On manque de logements à loyer modéré, notamment dans la région parisienne, alors que des HLM sont vides dans de nombreuses villes moyennes.

Elle serait aussi inefficace?
Oui, car si l’initiative est acceptée, le Parlement disposera d’un délai de deux ans pour la mettre en œuvre. Jusqu’en 2022, aucun nouveau logement d’utilité publique supplémentaire ne sera donc soutenu. Alors que si l’initiative est rejetée, 250 millions supplémentaires seront immédiatement investis par la Confédération dans les coopératives d’habitation.

Enfin, elle est étatiste…
Oui, car il faudra mettre en place un système de répartition du quota entre les cantons, un dispositif de contrôle et des mesures correctrices si le quota n’est pas atteint. Au lieu de soutenir l’initiative, l’Union syndicale suisse pourrait commencer par se montrer exemplaire en faisant respecter le droit du bail dans les institutions qu’elle cogère, à l’instar de la SUVA. La SUVA obtient des rendements entre 3,6 et 4% dans le secteur du logement alors que le droit du bail limite les rendements à 2%. Cela réduit d’autant le pouvoir d’achat des salariés. n