Chronique en immersion dans le nouveau quartier des Plaines-du-Loup

EXPERIENCE • Notre chroniqueur Thomas Lécuyer a emménagé début mai dans le nouvel écoquartier. Installé avec sa femme, ses deux enfants et son chat dans un appartement de 5,5 pièces, il nous fait le récit, drôle ou cynique, de ses premiers mois aux Plaines-du-Loup.

  • Thomas Lécuyer dresse un constat mitigé de ses premiers mois au sein de l’écoquartier des Plaines-du-Loup. MISSON-TILLE

    Thomas Lécuyer dresse un constat mitigé de ses premiers mois au sein de l’écoquartier des Plaines-du-Loup. MISSON-TILLE

«La pauvreté de l’offre en transports publics reste une des grosses épines dans le pied de ce projet»

Au début du mois de mai, les premiers soirs à la nuit tombée, on pouvait entendre un animal qui pleurait, hurlait à la mort. C’était d’ailleurs assez glaçant ce premier contact avec la nature dans le nouvel écoquartier. On n’a pas encore d’arbres, de prairies, de jardins, mais on a un animal malheureux qui pleure tous les soirs. Est-ce le fameux loup qui a donné son nom aux Plaines? Non, en vérité, les Plaines-du-Loup s’appellent ainsi à cause de la Louve, une rivière qui coule non loin.

La vie pour de vrai

Depuis, on n’entend plus la bête, mais les jeunes curieux des quartiers voisins viennent parfois squatter les espaces communs dans chaque immeuble le soir venu, pour se livrer à quelques oisivetés collectives, ce qui fait grincer les dents des nouveaux habitants. Même si à y regarder de plus près, c’est quand même d’abord nous les envahisseurs, avec nos gros immeubles tout juste érigés!

S’installer dans un nouvel écoquartier à peine sorti de terre, c’est prendre à bras-le-corps une utopie pour la confronter au réel. C’est faire basculer un projet idéal sur le papier, dans la vie pour de vrai.

Les Plaines-du-Loup sont un projet incroyable par sa taille et ses objectifs. C’est quasiment une nouvelle ville modèle qui sort de terre pour penser, imaginer et vivre la ville de demain: plus écologique, plus conviviale, plus responsable, plus inclusive. Enfin, ça c’est pour demain. Autant le dire de suite: l’écoquartier est, d’une part nécessaire, et d’autre part à la mode. Les détracteurs pressés reprochent un peu hâtivement deux choses aux Plaines-du-Loup: la densité de construction et le manque d’arbres. En gros, «mais c’est que du béton c’machin!»

Or, l’une des premières caractéristiques d’un projet d’habitat éco-responsable doit évidemment être sa densité, de manière à réduire l’impact sur l’occupation du terrain naturel, mais aussi la déperdition d’énergie, les espaces inutiles, etc. Plus on met d’habitants dans une surface, et moins le poids écologique par habitant est important. Quant aux arbres, une chose est sûre: ils sont plantés. Le béton est certes la partie visible de l’iceberg, mais il suffit de se tourner vers l’intérieur des cours pour découvrir des magnifiques façades en bois et en verre, et de coller son oreille à la terre pour entendre les arbres pousser. Bienvenue donc dans ce qui sera bientôt le nouveau quartier tendance de Lausanne!

Enfin, bientôt… pour le moment, on imagine! Le ballet incessant des grues, des camions de chantier, des déménageurs et des livreurs de meubles suédois à monter soi-même rythme le quotidien des nouveaux habitants. Quand on emménage dans un immeuble et une rue qui n’existaient pas encore il y a quelques semaines, c’est tout un art de se faire livrer ses colis, et il faut arriver à apprivoiser le facteur sauvage qui n’aime pas s’aventurer en terre inconnue.

Ça cartonne!

Car la Poste ne connaît pas ces nouveaux bâtiments, et ces rues qui n’existaient pas l’hiver dernier sont hantées par des postiers perdus qui ne savent pas trouver les boîtes aux lettres et errent, hagards, dans les halls neufs des buildings. On vient en voiture en douce le soir pour finir de déposer son mobilier car les nouvelles rues qui traversent le quartier ne sont pas prévues pour accueillir des véhicules (le terrain pourrait même s’affaisser!). Il va falloir apprendre à vivre sans voiture.

Mais il n’y aura vite plus de place dans les parcs à vélos déjà disséminés ici et là. Il n’y a que des électriques, d’ailleurs, et on guette du coin de l’œil le ou la propriétaire du seul vélo Peugeot vintage qui trône au milieu des dernières générations de vélos à assistance électrique. Qui est assez fou ou sportif pour monter jusqu’ici seulement à la force du mollet? Il faut dire que le vélo, motorisé ou pas, semble de loin la meilleure solution pour se déplacer depuis les Plaines-du-Loup. Le bus s’avère être un enfer de sudation et de personnes collées-serrées sans zouk à danser. La pauvreté de l’offre en transports publics reste une des grosses épines dans le pied de ce projet et il apparaît pour nous, les nouveaux habitants, que la Ville de Lausanne et les TL ont largement sous-estimé cet aspect. Quelles solutions seront apportées pour désengorger les transports en commun déjà saturés alors même que 9000 habitants doivent encore arriver? Et si on me répond officiellement «Ne vous inquiétez pas, il y aura le M3», je vous promets que je rigole bien fort, que je passe le permis et que je m'achète un SUV.

Fast&Furious

Ce qui est paradoxal aux Plaines-du-Loup, c’est que malgré le retard pris dans le projet (la Ville avait annoncé l’arrivée des premiers habitants fin 2021), nous avons l’impression d’être arrivés trop tôt. Le quartier n’est pas prêt. Où sont les espaces verts dans lesquels nos enfants peuvent aller jouer? Le Parc du Loup a enfin été inauguré le 23 juin après un chantier qui s’est éternisé.

On nous a promis une école dans le quartier, qui est effectivement en construction, mais ne sera jamais prête à la rentrée prochaine, ce qui fait que nos enfants seront scolarisés dans des Algeco à perpète jusqu’à ce que le bâtiment soit prêt. Il n’y a pas de commerces accessibles à pied, à part les stations-services.

En fait, ce qui me manque, dans cet éco-quartier, c’est une voiture. C’est dommage, car si vous avez suivi, vous l’aurez compris: je n’ai pas le permis.

La petite maison loin de la prairie, l'éditorial de Charaf Abdessemed

Après les ambitions et les espoirs, voici le temps des déceptions. Bien des habitants du nouvel écoquartier des Plaines-du-Loup, sans doute biberonnés aux charmes de l’antique série «La petite maison dans la prairie» s’attendaient à emménager dans un lieu bucolique, où la nature aurait tous les droits, et le béton relégué à son strict minimum, une sorte d’écrin fantasmé où nos «bons sauvages» contemporains auraient enfin pu vivre en paix et la conscience (écologique) tranquille.

Sauf que la réalité est tout autre, comme en témoigne le récit de notre journaliste, qui jette un regard amusé et décalé sur son quotidien de nouvel habitant (lire en page 3). D’abord, la verdure n’est pas encore au rendez-vous et un écoquartier en manque même temporaire d’arbres, cela fait un peu tache pour certains qui, en véritables rats des villes, ignorent sans doute que souvent, la nature a sa propre temporalité.

Et ce n’est pas tout. Dans un écoquartier, on vit (un peu) les uns sur les autres, et à défaut d’être agréable, c’est voulu, tant la densité de population et de bâti reste un imparable moyen de limiter le poids écologique de l’implantation humaine.

Et puis enfin, il y a tous ces petits contretemps, consubstantiels à l’émergence d’un nouveau lieu: la poste qui n’a pas encore ses repères, l’école et les transports publics qui mettent du temps à arriver, etc. Alors que ces défauts de jeunesse sont tous appelés à s’estomper, les Plaines-du-Loup ont en tout cas le mérite de nous rappeler qu’être un écocitoyen responsable implique l’apprentissage de la patience.