Yann Arthus-Bertrand: "Etre écolo et pro-nucléaire, c'est faire preuve de bon sens"

ENERGIE • Alors que le débat sur le nucléaire est relancé en Suisse, Yann Arthus-Bertrand fait volte-face. Le militant écologiste de renommée mondiale estime que l’on ne peut pas se passer de l’atome à l’heure où les besoins en électricité explosent. Entretien.

«Les énergies renouvelables ne permettront pas de faire face à l’augmentation des besoins en électricité»

Lausanne Cités: A Lausanne, comme partout en Suisse, les mouvements écologistes combattent l’énergie nucléaire, ils font fausse route?
Yann Arthus-Bertrand: Ils peuvent difficilement faire autrement car ils ont été fondés en opposition au nucléaire. Mais s’ils avaient un peu de bon sens, ils se rendraient vite compte que l’on ne peut pas s’en passer. Car les énergies renouvelables comme l’éolien, le solaire ou l’hydraulique ne permettront pas de faire face à l’augmentation des besoins en électricité. Il suffit d’observer nos logements, nous avons en moyenne plus d’une centaine d’appareils connectés au réseau électrique. Et cela ne fait qu’augmenter depuis plusieurs années.

Vous devez votre célébrité à vos documentaires consacrés au monde animal et aux espaces naturels, tout le monde se souvient de «La Terre vue du ciel», vous brisez un sacré tabou en faisant l’apologie de l’atome…
Pas forcément, je croise toujours plus d’écolos qui changent d’idée. Ils ont encore parfois quelques réticences, notamment à cause des déchets nucléaires, mais je leur rappelle que ces derniers, s’ils ne sont pas forcément une bonne chose, n’ont encore tué personne. Contrairement aux pesticides balancés dans nos champs qui font des ravages en matière de santé depuis plusieurs décennies.

Il y a eu la COP 26 en Ecosse, il y aura la COP 27 en novembre prochain en Egypte. Selon vous, ces rendez-vous ne servent à rien, pourquoi?
Car aucune mesure concrète n’en ressort. C’est désolant, mais c’est ainsi. Les gens n’ont plus le temps de réfléchir. Il y a plus de monde dans la rue quand il s’agit d’une manif contre le pass sanitaire que lors d’une marche pour le climat.

On vous sent abattu, pourtant les choses avancent, la prise de conscience écologique est là, on ne va pas assez vite?
Pour être sincère, je ne pensais pas que j’allais constater le changement climatique de mon vivant. Quand on parcourt les rapports du GIEC, par exemple, on remarque très vite que l’humanité est incapable de changer de route, qu’elle est devenue accro à la croissance et à son confort. Quand le film d’Al Gore «Une vérité qui dérange» est sorti en 2006, l’humanité consommait 90 millions de barils de pétrole par jour, aujourd’hui ce chiffre s’élève à 100 millions. Je ne peux pas être optimiste.

Quel est votre point de vue sur la Suisse en matière d’écologie?
Déjà, et c’est essentiel, vous disposez d’un formidable système démocratique. Ensuite, la nature est partout en Suisse, il y a les montagnes, les lacs, les champs, c’est absolument magique. Mais, dans le même temps, cela ne vous empêche pas de rouler avec des grosses bagnoles. J’en vois toujours énormément lorsque je me rends à Lausanne ou Genève. C’est un sacré paradoxe qui représente bien le monde dans lequel nous vivons, cynique et individualiste.

Une mesure forte que les gouvernements pourraient appliquer rapidement et qui constituerait un grand pas en faveur de l’écologie?
Il leur suffirait d’importer chaque année un peu moins d’énergies fossiles. En diminuant ces importations d’un tiers, cela serait déjà un pas dans la bonne direction. Et l’économie pourrait s’y habituer. Cela changerait de la réalité actuelle où le pétrole, le gaz et le charbon, sont disponibles en mode «open bar».